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  • Photo du rédacteurBiodanza-Paula

Le langage verbal, une aventure désespérée vers l’intimité par Rolando Toro Araneda

Le langage verbal est une création typiquement humaine, capable de réguler les niveaux de communication, ayant la fonction d’unir ou de séparer les hommes.


Certains exercices de langage nous isolent et nous confinent à la solitude. Avec des mots et des mensonges, avec des pointes d’illusion, nous construisons notre maison.


L’évolution et la diversification du langage en langages techniques, scientifiques, psychologiques, crée de nouveaux groupements humains de communication exclusive.

La spécialisation du langage produit un rétrécissement de sa fonction expressive et ferme les portes à la compréhension entre les hommes.


De tous les langages spécialisés, le plus inhumain et le plus pauvre est sans aucun doute le langage psychologique et de la psychothérapie. Les sessions de psychothérapie de groupe reproduisent paradoxalement la situation de la Tour de Babel. Des exemples de ce manque total d’empathie sont présents dans la casuistique des œuvres de Fritz Perls. Les membres d’un groupe thérapeutique se sentent souvent tellement découragés qu’ils préfèrent rester silencieux, dans l’impossibilité d’être compris.


Alfred Korzybski (General Semantics), profondément préoccupé par la situation de non communication en psychothérapie, se réfère à l’indicible comme base de l’existence. Il y a un abîme entre les strates silencieuses de l’être (silent levels) et la verbalisation (verbal levels).

Ce même auteur nous indique d’autres sphères. L’une dans laquelle l’événement objectif agit sur le système nerveux et l’autre, immédiatement liée à la première, dans laquelle la réaction nerveuse se transforme en sensation organique (organismale). Korzybski cherche le chaînon manquant entre les stimulations qui arrivent aux nerfs et la vivencia qui éveille ces stimulations. L’auteur fait une différence entre le territoire (territory) et la carte (map).


Le chemin qui va de la sensation organique à sa formulation en langage est complexe et accidentel.


Nous pourrions formuler l’hypothèse que notre langage est une extension de nous-mêmes et que nos mots sont la sémantique de l’être. Ce n’est pourtant pas ainsi parce que l’homme est capable de dissocier la vivencia de l’expression, c’est-à-dire qu’il peut créer de faux langages.

Si mes mots sont une expression de moi-même, une extension à moi, semblable aux extensions de mon corps, une sécrétion totalement réelle, alors mes mots devraient avoir le sens total de ce que je suis en tant qu’homme. Mais ce n’est pas ainsi, étant donné que dans sa trajectoire de formalisation, le langage raréfie ses liens avec l’origine et incorpore des éléments acquis de la culture au travers de la mémoire. Ces éléments troublent la pureté ou la véracité de que ce nous nous proposons de dire.


Ainsi, le langage surgit dans une dialectique d’expression et de simulation, de véracité, d’authenticité et de fausseté.


Il est donc possible que le langage du mouvement corporel, les expressions et les gestes comblent plus efficacement l’abîme de l’indicible et du communicable.


Benjamin Lee Whorf a observé que la variété ethnique des structures langagières se base sur le fait que chaque peuple a une construction différente de la réalité. Il en est ainsi, non seulement pour des peuples différents, mais aussi pour chaque individu. Le langage du schizophrène, de l’obsessionnel ou de l’hystérique correspond à des styles différents de construction de la réalité.

Une réalité désintégrée, une réalité réitérative et circulaire ou une réalité excessivement expressive génèrent des langages désintégrés, compulsifs et hyperboliques.


Quand Lacan exalte le pouvoir fondateur du mot et propose la relation primigène entre intimité et langage, il porte jusqu’à l’extrême la valorisation d’un langage ayant une existence propre, capable de générer des conduites.


Par des chemins différents, Heidegger invente un langage pour approfondir la structure de l’être et, dans son aventure créatrice, il annihile les objets qu’il examine. Wittgenstein propose la création d’univers autonomes à partir du langage où, dépendamment de la prémisse initiale, n’importe quelle chose peut être vraie.


La poésie concrète construit des situations iconiques avec des mots distribués dans l’espace graphique, abandonnant la continuité sémantique et exaltant les valeurs sémiotiques, de façon à ce que le lecteur reconstruise le monde avec ses propres outils de perception.


Cette exégèse sur la valeur concrète du langage, que formulent de façon différente Lacan, Heidegger, Wittgenstein et des poètes comme Mallarmé (Le coup de dé), Pound, Haraldo de Campos, Joyce, est tirée d’une conception individualiste et absolutiste du monde.

Ceci n’est pas une disqualification, mais seulement l’indication de facteurs qui génèrent l’incommunication par le langage. Les vertiges et les plaisirs que génèrent ces abîmes de solitude ne me sont pas étrangers.


Je pense cependant que l’unique manière possible de trouver le chemin vers l’intimité par le langage est de considérer les mots qui désignent l’objet en tant que partie de l’homme qui exprime l’objet. Comme dans la physique de Heisenberg où l’observateur fait partie de l’objet observé, les mots n’ont pas une réalité autonome, mais sont la substance, la sécrétion biologique de l’interaction entre la partie incommunicable et silencieuse et celle qui finalement se formule.


C’est ici que surgit la notion de poésie en tant que chemin direct entre la vivencia et le mot, où la connexion originelle avec la sensation organique se conserve toujours. C’est dans la poésie que se comble l’abîme entre l’être et le non être. La mutation viscérale consiste à transformer les sensations en conscience fulgurante. C’est là que surgit la véracité, la qualité de la nudité, la copulation énergétique avec la réalité qui naît de la rencontre dans le dialogue, une dimension de l’esquive notion de liberté. La poésie, une opportunité pour la liberté.


Si nous sommes les mentors sidéraux de la vie, nos mots peuvent être les ponts de connexion avec d’autres vies, d’autres mystères de la conscience et d’autres domaines du cœur.


Nos mots deviennent, en poésie, le nectar pour nourrir les humains avec les humains, sous les étoiles. Dans le langage poétique, nous nous enveloppons du mystère de l’autre, nous établissons un pacte : des mots simples, vrais, directs, des extensions de la vie dans la vie ; dans le langage poétique nous établissons la trame d’un mystère fabuleux : l’intimité.


Le pouvoir curatif des mots, nous ne le trouverons jamais dans la langue de la psychologie, mais dans le langage poétique, capable de rétablir les liens originaires.

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