Après avoir proposé la description de l’inconscient en trois strates et avoir formulé le concept d’inconscient vital, j’ai senti qu’il manquait dans cette réflexion quelques caractéristiques encore plus profondes de l’être humain.
Pendant de nombreuses années je me suis questionné sur quel était l’aspect le plus réprimé de chaque être humain et je suis arrivé à la conclusion qu’il s’agissait de sa grandeur, de sa splendeur. En chaque être humain il y a un germe de grandeur incommensurable qui semble être l’aspect le plus réprimé dans la civilisation, tant orientale qu’occidentale.
J’ai toujours observé que la grandeur de l’homme est absente dans l’éducation à l’école. À l’école, on étudie l’histoire des guerres et des batailles, mais on apprend rarement à écouter une sonate de Bach, à contempler un tableau de Botticelli ou à connaître les scientifiques qui ont fait d’importantes découvertes pour l’humanité. On n’enseigne pas à comprendre la signification de l’équation la plus fameuse d’Einstein[1] sur la relativité, à apprécier la poésie des vers de R.M. Rilke[2] ou à connaître à fond la vie de Martin Luther King[3].
L’intérêt de notre civilisation est surtout tourné vers l’armée, les bombes et les guerres. La grandeur humaine et la sacralité de la vie[4] ne sont pas valorisées et encore moins respectées.
En 1917, le théologien allemand Rudolf Otto[5] a inventé le terme numineux (de l’allemand Numinos, dérivé du latin nument-inis, « nume ») pour faire référence à l’expérience humaine du mystère, des aspects incompréhensibles de la vie et du monde qu’il pensait être la matrice des religions. Le nouveau terme a été introduit par Otto lui-même dans la philosophie et l’histoire des religions. Vingt ans plus tard, C.G. Jung[6] a réélaboré le terme en élargissant son utilisation à la pratique et à l’étude clinique. Selon Jung, l’expérience du numineux fait référence à la vie quotidienne et naturelle, sociale et individuelle, en plus de caractériser la symbolique archétypique de l’inconscient.
Dans une revisite de ses significations, j’ai utilisé le terme numineux pour désigner une quatrième strate de l’inconscient, la plus profonde, celle qui contient la meilleure partie de chaque être humain, la grandeur, la splendeur et la sacralité[7].
Les modalités d’accès à l’inconscient numineux sont les expériences d’amour, d’illumination, d’intase et le courage de vivre. Ces expériences forment les catégories de manifestation de la grandeur humaine et stimulent l’inconscient numineux, humain, strate de l’inconscient la plus réprimée dans notre société.
LES QUATRE CATÉGORIES D’EXPRESSION DE LA GRANDEUR HUMAINE
Intase
Le terme intase est un néologisme que j’emploie pour définir l’état d’extase intérieure, l’expérience de connexion profonde avec soi-même et le sentiment du bonheur d’exister. Il fait allusion à une identité cosmique, liée au fait de sentir, au niveau cénesthésique, de faire partie de l’univers. L’intase est la sensation suprême de quelque chose de grand et d’éternel à l’intérieur de soi. Cette expérience représente l’expression maximale de la grandeur humaine.
Illumination
J’entends l’état d’illumination comme la possibilité d’entrevoir ce que les autres et le monde qui nous entoure ont de meilleur. Il a son origine dans un état d’intase dans lequel s’associent une sensation de bonté généreuse et d’amour et il se caractérise par un sens profond de clarté intérieure. L’illuminé, pour moi, est celui qui a la capacité de comprendre l’autre.
Courage
Le courage est nécessaire pour vivre. Nous avons besoin de courage pour défier la peur d’aimer et pour agir avec le cœur. Nous avons souvent peur de nous exprimer, peur de l’inconnu, peur de vivre. Nous avons peur de la grandeur humaine. Le courage auquel je me réfère est celui d’entrer dans le chaos, dans les situations de crise et d’en sortir en se connectant à un attracteur étrange, une piste authentique à suivre, une expression de la capacité innée à réagir à l’adversité. Dans le chaos qui se développe parfois dans l’existence, on trouve une solution possible pour retrouver l’ordre interne, pour aller de l’avant et continuer à développer ses propres potentiels, comme une plante qui fleurit dans le désert
Amour
Aimer et être aimé sont des besoins intrinsèques de l’être humain. Pour recevoir de l’amour, il faut aimer, considérer l’autre comme une partie de soi, agir avec empathie, cultiver l’amitié. L’amour a des formes qualitatives d’expression comme la communion et le partage, la tendresse et la passion, l’amour épiphanique ou l’union des âmes à laquelle se réfère Emmanuel Lévinas[8].
L’amour peut se manifester sous différentes formes :
- Dans le couple écologique qui fleurit avec l’adaptation, la réciprocité, la tendresse, la procréation, la famille, le travail.
- Dans l’amitié qui est une forme sublime d’amour, caractérisée par la loyauté envers l’ami. On pourrait considérer comme une maladie l’incapacité de développer l’amitié.
- Dans la solidarité qui est l’amour envers l’humanité.
J’ai inséré ces quatre catégories de manifestation de la grandeur humaine dans une spirale, figure géométrique qui représente un processus et montre un développement, une possibilité d’évolution du centre vers l’extérieur.
[1] E = mc2 dans laquelle l’énergie est égale à la masse multipliée par le carré de la vitesse de la lumière. Albert Einstein, « Comment je vois le monde. La théorie de la relativité », Poche, 2017
[2] R.M. Rilke, « Œuvres – Poésies » Seuil, 1972
[3] M. Luther King, « I have a dream, Discours du Pasteur Martin Luther King Washington D.C., 28 août 1963 », Poche, 2009
[4] L’auteur emploie le concept de sacralité dans le sens anthropologique et se réfère aux réflexions développées par l’écrivain roumain Mircea Eliade, anthropologue, philosophe et historien des religions selon lequel « le sacré est un élément de la structure de la conscience et non un moment de l’histoire de la conscience. L’expérience du sacré est indissolublement liée à l’effort accompli par l’homme pour construire un monde qui ait une signification ». (Mircea Eliade, Discours prononcé au Congrès de l’Histoire des religions à Boston le 24 juin 1968).
Pour un approfondissement, voir aussi Mircea Eliade, « Le sacré et le profane », Poche, 1987
[5] Rudolf Otto, « Le sacré. L’élément non rationnel dans l’idée du divin et sa relation avec le rationnel. », Poche, 2015
[6] C.G. Jung, « Psychologie de la religion occidentale et orientale » Œuvres complètes, Paris PUF, 2004
[7]Voir note 4
[8] E. Lévinas, « Éthique et infini » Poche, 1984 ; « Totalité et infini », Poche, 1990
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