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  • Photo du rédacteurBiodanza-Paula

Vers un univers musical par Rolando Toro Araneda

La conscience de faire partie intégrante d'un univers musical apparaît dès les origines de l'histoire humaine, sous la forme de légendes et de mythes. Depuis la nuit des temps, l'homme s'est rendu compte que l'univers était régi par des lois rythmiques, par des événements qui se répètent d'une manière cyclique, par des phénomènes de pulsation et de vibration, par tout ce qui semble s'ordonner selon un plan harmonieux, à la manière d'une symphonie cosmique.

Dans les civilisations issues de la Chine, de l'Inde, de l'Egypte, de la Grèce, chez les Incas du Pérou, comme chez les Aztèques et les Mayas du Mexique, la perception de cette unité dynamique, rythmique a toujours été présente.


La connaissance du rythme et de la musique assurait un pouvoir religieux car, d'une quelconque manière, celui qui comprend le rythme, la mélodie et l'har­monie, co-participe de l'intelligence divine.


L'univers peut être perçu comme une symphonie. Une myriade de particules qui glissent en formant des rondes atomiques, des tourbillons infinitésimaux, des galaxies et des soleils qui se déplacent. Une horloge aux rythmes infinis ou peut-être un « grand organisme » qui se transforme. Des forces harmo­nieuses maintiennent l'unité dans la diversité la plus prodigieuse. Au cœur de cette symphonie cosmique, l'homme est à la fois acteur et spectateur.

La perception de cette unité ontocosmologique est une des formes les plus antiques de conscience cosmique.


"Je suis la parcelle des parcelles

de la Grande Âme Incandescente"

(Livre des Morts égyptiens)


Pour l'homme primitif, la perception de la totalité était quelque chose de natu­rel. L'harmonie de l'univers était aussi en lui. Les lois musicales de la nature avaient une résonance profonde sur sa vie. La succession des jours et des nuits, le cycle de la lune, le lever et le coucher du soleil, le rythme des sai­sons, le va-et-vient de la mer, la mélodie du vent, tout lui apparaissait sous la forme de rythmes. Le vol des oiseaux, les migrations de certaines espèces étaient aussi pour lui une expression de rythme et d'harmonie. Le rythme habitait son propre corps: les battements du cœur, la cadence de la marche, l'oscillation de l'activité au repos, le rythme respiratoire, etc., tout l'amenait à sentir la présence d'une espèce de force ordonnatrice merveil­leuse. L'ensemble de la création était une leçon de musique.


Ce véritable « état de grâce » s'est perdu au cours des siècles. Nos actions ont délaissé le naturel, la fluidité et l’eurythmie. L'homme a perdu le contact avec cette « musique originelle » pour entrer progressivement dans un monde rempli de stridences.


De très vieilles légendes chinoises, indiennes et grecques décrivent la rela­tion mystérieuse entre la musique exécutée par un homme illuminé et son in­fluence sur la nature. En réalité, ces musiciens « sacrés » ne créaient pas de nouveaux processus, ils renforçaient le cours naturel du déve­loppement en captant au préalable l'harmonie de la nature. Cet aspect est très important à comprendre pour ne pas tomber dans le travers de l'omnipotence thérapeutique qui consiste à prétendre créer de nouvelles formes chez des individus ou dans des groupes. Il n'est ici question que de stimuler, par le mécanisme cénesthésique-musical, les potentialités de santé et de bien-être qui sont latentes.


Une légende chinoise raconte que le maître de musique Wen de Cheng a pu, après une longue préparation intérieure, provoquer d'étranges changements dans la nature en faisant vibrer les cordes de son instrument: c'était le prin­temps et lorsque la corde Chang résonna, les arbres et arbustes donnèrent leurs fruits; c'était l'été et lorsque résonna la corde Yu, la neige se mit à tom­ber et les rivières et les lacs gelèrent subitement. Lorsque l'hiver arriva, le maître de musique fit vibrer la note Chih et le soleil se mit à briller, la glace à fondre. Pour finir, il laissa résonner la corde King avec les quatre autres cordes, le doux murmure des vents se leva, des nuages apparurent dans le ciel accompagnés d'une douce bruine et des eaux puis­santes s'échappèrent des cascades.


Cette légende, pour beaucoup admirable, est à mes yeux dépourvue de la moindre sagesse. Utilisant la connaissance sacrée de la musique, elle n'en­gendre qu'un trouble et qu'une inversion des lois de la nature.


La légende hindoue de Shiva, Dieu de la danse et de la transmutation, est porteuse d'un double sens de création et de destruction. Shiva tient dans sa main droite un tambourin et à son rythme crée l'univers, alors que sa main gauche est occupée à détruire le vieux monde qui doit être rénové. Mort et re­naissance sont les thèmes de cette danse cosmique. Shiva est le dieu de la danse, mais aussi de la transformation. Le modèle thérapeutique de Shiva a quelque chose d'effrayant, de cataclysmal. Ne pourrait-on postuler un modèle d'évolution progressif, à partir des racines originelles et des impulsions de vie qui palpitent encore dans le vieux corps malade de l'univers ?


La légende grecque d'Orphée fait aussi allusion à la relation de l'homme avec la musique de l'univers. Elle parle encore d'intimité écologique. Par les harmonies qu'il tirait de sa lyre, le poète et musicien apaisait les fauves, sé­duisait le cœur des hommes et des femmes, faisait mûrir les fruits et les pierres elles-mêmes tressaillaient au contact de sa musique.


Le philosophe grec Pythagore fut le premier à établir des relations objectives entre la musique et les mathématiques. Par le biais des nombres, il mit en re­lation les sons produits par l'homme avec des données astronomiques liées à la terre, au soleil et à la lune. Les accords musicaux, correspondant à des proportions numériques simples, suggèrent la notion d'harmonie du cosmos compris comme totalité. La conception inspirée de Pythagore d'une « musique des sphères » était tributaire de la cosmologie ionienne.


L'approche intuitive d'un univers créé selon des lois musicales se retrouve chez beaucoup de peuples. Le poète et philosophe chinois Lu Pu-We (3ème siècle avant notre ère) pensait que la musique avait ses racines dans le « Grand Être », le principe universel, invisible et inconnaissable. Pour les Chinois, l'espace et le temps, la matière et la musique n'étaient que des as­pects différents du même principe. La musique était liée aux saisons de l'année, aux éléments et aux formes infinies de la réalité.


Les chants et les danses primitives pour susciter la pluie ainsi que les danses chamaniques pour guérir les malades ont le même sens de solidarité cos­mobiologique.


Dans les danses primitives, l'abandon au rythme des tambours et des chœurs constitue l'acte joyeux et terrible de participation aux grandes énigmes de la transformation cosmique. Cet abandon est participation au ver­tige même de la création, au mouvement millénaire qui est à l'origine du monde.


La conscience de vivre dans un univers musical est devenue plus sensible au cours du siècle dernier. Les théories du Champ Unifié d'Einstein, le concept d'ho­méostasie (Claude Bernard - Cannon), les concepts révolution­naires d'autorégulation par feedback dans le champ de la biologie (Wiener - Ashby), l'étude des rythmes biologiques (Dunne - Fischer & Sollberger - Fraisse - Whitrow, etc.), l'attrait pour les ap­proches philosophiques intégrantes (Jaspers - Von Uexkull - Kaiserling), l'in­térêt des psychologues contemporains pour la conscience cosmique (Bucke - Huxley, - Maslow - Weil), les recherches actuelles sur la musique cosmique (Hamel) et sur la musique psychédélique (Leary), les grandes intuitions poétiques de Lubicz Milosz et Allen Ginsberg, tout cela parle en faveur d'une maturation du sentiment de résonance avec l'univers éprouvé comme totalité symphonique.

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