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  • Photo du rédacteurBiodanza-Paula

La phénoménologie de la vivencia en Biodanza par Franco Ceresa

Dans le développement de la pensée du créateur du système Biodanza, le professeur Rolando Toro Araneda, on trouve souvent les termes phénoménologie de vivencia (ou Erlebnis) associés entre eux. Ces deux termes sous-tendent des concepts et des thèmes traités par la philosophie et la psychologie et sont interprétés avec précision pour en comprendre la signification et la portée dans la théorie que Toro a construite en tant que modèle interprétatif de sa vision de la vie, de son sens et de sa signification, au niveau du microcosme humain et du macrocosme universel.


Il convient donc d’approfondir ces concepts et surtout de les faire se rencontrer pour en comprendre précisément la signification.


La « Phénoménologie », terme qui rappelle immédiatement son créateur, le philosophe Husserl, pour qui l’idéal de la vraie philosophie consiste en l’idée de la conscience absolue. Se basant sur un fondement solide, la phénoménologie est la méthode qui permet d’atteindre cet objectif, car la phénoménologie est une « méthode » ou un modèle en vue d’atteindre le but de la connaissance.


Selon Husserl, la psychologie de son temps considère les événements psychiques comme appartenant à une conscience d’hommes qui sont liés à leur corps et elle attribue donc aux événements psychiques un caractère de faits naturels qui arrivent dans le temps (logique positive). La psychologie n’arrive donc pas à « cueillir l’essence » (eidétique) de la conscience et les façons dont la conscience interprète les objets réels ou les phénomènes.


A la différence de la psychologie, la phénoménologie n’est pas une science d’objets ou de faits mais d’essence (c’est une science eidétique) et les phénomènes dont elle s’occupe ne dérivent pas d’une perception grossière de la réalité, mais d’une conscience plus ample qui ne tient pas compte de la représentation matérielle de l’objet ou du phénomène, mais de l’essence présente en chaque objet ou phénomène. Si je regarde un arbre, je vois le bois du tronc, les feuilles, les fruits, mais si j’en cherche l’essence, je perçois la vie qui pulse en lui et qui se relie à moi et à tous les êtres vivants.


Pour atteindre le niveau de la phénoménologie, un changement radical d’attitude est indispensable, un changement qui consiste essentiellement à suspendre l’affirmation ou la reconnaissance de la réalité qui est implicite dans chaque attitude naturelle (Saint-Thomas : je crois à ce que je peux toucher), et choisir la posture de spectateur, intéressé seulement à cueillir « l’essence » des objets et des phénomènes pour lesquels la conscience se rapporte à la réalité et en donne une signification.


La phénoménologie suspend donc la réalité du monde matériel comme cela est décrit par les sciences naturelles positivistes.


Le monde lui-même devient pure phénomène de conscience, et sans en annuler la réalité qui continue à rester, elle élargit la prise de conscience du monde en passant de la description des formes et des phénomènes à la perception de l’essence présente en eux.


Chez l’homme qui prend une posture phénoménologique, nous aurons selon Husserl un « Je » intéressé au monde concret et matériel auquel se superpose un second « Je » phénoménologique qui se comportera comme un spectateur désintéressé mais prêt à cueillir l’essence des phénomènes.


Pour Husserl, la conscience est l’intentionnalité, c’est-à-dire toutes ses manifestations (pensée, imagination, émotion, désir, volonté) se réfère à quelque chose de différent de soi, donc à un objet pensé fantastique, désiré, voulu, etc….


Comme intentionnalité, la conscience n’est pas que l’acte de « transcender » soi-même et de se mettre en rapport avec l’objet.


L’objet transcende donc la conscience.


Dans les expériences vécues, Husserl distingue la direction de la conscience vers l’objet (percevoir, imaginer, se rappeler, par exemple un arbre) qu’il appelle noèse ; et la réflexion de la conscience sur l’objet (comme elle le perçoit, se rappelle, comme elle imagine l’arbre lui-même) appelée noème.


Au noème correspond l’essence de l’objet. On pourrait dire que pour percevoir l’essence de l’objet il convient de transcender la noèse (par exemple la perception visuelle de l’objet lui-même).


Un autre auteur qui a développé la théorie phénoménologique fut Merleau Ponty qui explique comment avec la méthode phénoménologique il ne s’agit pas d’expliquer ni d’analyser mais de décrire.


Selon Merleau Ponty, l’homme n’est pas le résultat ou la convergence de multiples causalités que déterminent le corps ou le psychisme, l’homme ne peut se penser comme une partie du monde ou comme le simple objet de la biologie, de la psychologie de la sociologie. Tout ce que l’homme sait du monde, même par l’intermédiaire de la science, il le sait en partant de sa vue ou d’une expérience du monde sans laquelle les symboles de la science ne signifieraient rien. L’homme pour connaître, interpréter, comprendre le monde voit retourner à l’essence des choses et des phénomènes, même ceux scientifiques. L’homme ne comprendrait jamais une forêt, un glacier, le ciel étoilé s’il devait seulement l’étudier par les traités de la science géographique et s’il ne l’avait pas appris en étant dans le monde.


Rolando Toro a souligné dans ses écrits et dans ses conférences comment la théorie et la méthodologie phénoménologique ont inspirés sa pensée. Ainsi, au centre du modèle théorique et du la méthodologie opérative de la Biodanza, il a placé la Vivencia ou Erlebnis, termes introduits par W. Dilthey dans sa psychologie descriptive en opposition à la psychologie expérimentale.

Dilthey oppose l’expérience décrite par la psychologie expérimentale à son « expérience vécue » qui consiste à s’approcher ou découvrir la vie avec la vie.


L’être de celui qui est perçu n’est pas objectivé face à un objet mais entre dans la même vie du sujet qui perçoit. C’est seulement ainsi que l’on peut se comprendre soi-même, les autres et les relations, en vivant et revivant ses propres actes d’expression vitale et ceux des autres qui s’expriment dans les rencontres, dans les interactions et dans les relations.


Le rapport avec les autres et avec la réalité naturelle est donc essentiel à l’individu dans le sens qu’il est constitutif de la personnalité. Le monde appartient à cette vie intérieure pour celui qui a une Erlebnis (vivencia) et la vie est ainsi caractérisée par une série d’Erlebnis corrélés entre eux par une connexion de sens et de signification.


La vivencia / Erlebnis ou expérience vécue ne peut donner une signification au monde que si l’homme a une attitude phénoménologique et découvre ainsi par la vivencia l’essence (noème) des objets et des phénomènes que la vie lui propose quotidiennement.


En ce sens, la vivencia devient une expérience radicale, parce qu’elle est un changement radical de la perception du monde et des phénomènes de la part des objets, par un chemin qui est un passage du je intéressé au monde au je phénoménologique, c’est-à-dire de la transcendance de l’objet ou du phénomène à la recherche de l’essence.


En ce sens, on peut dire que la Biodanza s’appuie sur ces présupposés philosophiques et méthodologiques et, comme la phénoménologie de la vivencia définie par Toro, est la base sur laquelle tourne son système théorique et méthodologique.


Mais quelles sont les principales thématiques phénoménologiques adoptées par Rolando Toro pour la Biodanza :

a) La relation Individu Environnement : qui ne sont pas vus comme une entité séparée, l’être dans le monde est la situation originale qui se donne à l’expérience phénoménologique.

b) La spatialité : qui déploie autour du sujet un monde environnant et qui peut se restreindre, s’élargir, se déstructurer, se réorganiser car l’espace n’est pas une cause mais l’ouverture originelle de l’homme au monde. Avec la danse on crée les conditions pour une vivencia radicale de cette expérience.

c) La temporalité : entendue non comme passé, présent, futur mais comme une capacité partant du ici et maintenant de se donner un passé, un présent et un futur sans tomber dans la dépression ou la manie (vivre le passé ou dans un présent sans passé et futur).

d) Le corps : entendu non comme un organisme fait de parties fonctionnelles spécifiques et spécialisées (science médicale) mais comme un corps vivant ouvert au monde et disposé envers les choses

e) Les choses : sont importantes non en tant que faits mais parce qu’elles expriment une signification, ainsi que je pleure ou je rie, cela concerne les mêmes muscles mais cela a une signification différente.

f) L’homme : n’est pas seulement seul et séparé, mais il est dans le monde avec ses semblables et avec les autres êtres vivants, il est co-originaire de l’expérience de vie avec toute la création.

g) Les normes : il n’y a pas de normes qui différencient le malade du sain, tous deux appartiennent au même monde et partagent la même expérience de vie.


La Biodanza, par la méthode de la vivencia exprimée par la musique, la danse et la rencontre est sûrement un modèle d’éducation des personnes au noème phénoménologique, à la prise de conscience de l’essence des phénomènes du monde et à l’apprentissage à vivre par la vie.


Notes bibliographiques essentielles :

Husserl, E: Idées directrices pour une phénoménologie et une philosophie phénoménologique pures, Gallimard, 1950

Galimberti, U : Les raisons du corps. Grasset, 1998

Merleau Ponty, M. : Phénoménologie de la perception. Gallimard, 1976

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