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Les bases épistémologiques de la Biodanza par Ana Maria Melo de Pinho

Introduction

Le chilien Rolando Toro (2005) a créé la Biodanza en 1978 en utilisant ce terme pour exprimer l’idée fondamentale de sa proposition : comme une « danse de la vie ». Selon Toro, la Biodanza est un système tourné vers le développement humain, l’intégration de l’identité, la rééducation affective, la rénovation organique et le réapprentissage des fonctions originaires de vie. Elle peut donc être comprise comme un système théorique mais surtout comme une méthode vivencielle qui vise l’étude et le renforcement de l’expression des potentiels humains par la stimulation de vivencias intégrantes au moyen de la musique, du chant, du mouvement et de situations de rencontre en groupe (Góis, 2002).

Nous savons que ces quelques mots ne suffisent pas à définir ou essayer d’expliquer ce qu’est la Biodanza. De fait, même pour ceux qui la pratique, il n’est pas si facile de l’expliquer, principalement parce que notre tendance est presque toujours d’essayer de la cadrer avec des paramètres explicatifs occidentaux sur la conception de la danse ou parfois même d’essayer de l’entendre comme un type spécial de psychothérapie groupale et corporelle. Mais il devient justement difficile de comprendre quelle relation peut-il y avoir entre la danse et la vie ? Quelle est l’importance de la danse, du chant et de la vivencia pour le développement humain ? Dans quelle mesure le développement de l’identité personnelle est-il lié aux dimensions organiques et aux fonctions originaires de vie ?

Reconstruire les connexions entre ces différents aspects de la réalité humaine et de la vie est un défi de la Biodanza ! Comme le souligne Toro (2005), la danse dans cette approche ne se réfère pas au ballet classique ou à une autre forme de danse structurée, mais a une conception plus vaste : elle est mouvement de vie, expression des émotions et dotée d’une signification existentielle entière. En accord avec la conception de Roger Garaudy (1980), la danse, dans son sens plus originel, a représenté pour « tous les peuples de tous les temps : expression, mouvement du corps organisé en séquences significatives, des expériences qui transcendent le pouvoir des mots et de la mimique. » Ainsi, comme le souligne Pinho (2003), l’essence de la proposition de cette discipline est d’offrir un espace rituel, symbolique et esthétique dans lequel l’homme moderne a la possibilité de vivre la danse comme une façon de bouger dans le monde, de se relier aux autres et à la vie, comme une façon d’exister !

Ainsi, comprendre la profondeur et le sérieux de cette proposition de « célébration de la vie » et de « récupération de la nature en nous » comme dirait son créateur, demande d’élargir les horizons au-delà de nos paramètres culturels de rationalité instrumental, demande de récupérer des conceptions originelles sur l’art et la danse, sur sa signification anthropologique, psychologique et vitale. Même plus, comme le souligne Góis (2002), dans le domaine psychologique, cela implique de récupérer des aspects qui constituent et forgent le psychisme comme la dimension corporelle, le contact et l’interaction groupale, le mouvement, la musique et l'art. Dans le domaine des sciences humaines, cela implique de récupérer la vivencia comme une catégorie épistémologique, comme un fondement psychique structurant la santé psychique, des processus d’apprentissage, un développement et une réalisation humaine. Pour Toro, surtout, la théorie de la Biodanza cherche à récupérer un positionnement éthico-politique face à la réalité humaine et à la vie.

Cet article se veut ainsi une possibilité de donner une visibilité aux présupposés de la Biodanza, cherchant à mettre en évidence et à analyser les bases épistémologiques de ce système, en se centrant spécialement sur son pilier fondamental qu’est le Principe Biocentrique. Ce principe est l’axe paradigmatique central qui oriente toute la construction du système Biodanza. Selon la proposition de Toro (2005), tout ce qui existe s’organise en fonction de la vie, l’univers comme un tout et chacune de ses petites parties, même les émotions et les attitudes humaines, sont tous des expressions d’un système vivant unique et complexe. Comme découlant de ce principe, émerge le concept de vivencia en tant qu’expérience psychique comme la base méthodologique de la Biodanza qui est donc vivencielle.

Pour cette analyse nous prendrons comme références les matrices psychologiques de Figueiredo (1991), cet auteur proposant d’interpréter chaque approche psychologique comme un phénomène socioculturel, mettant en évidence comment chacune de ces positions prend sens.

De cette façon, chaque approche s’insère dans une matrice qui, à son tour, pointe vers un « grand ensemble culturel qui est à son origine », dans ses présupposés fondamentaux. Nous chercherons donc à comprendre les fondements sur lesquels la Biodanza peut partager les thématiques du domaine épistémologique de la science psychologique, pouvant dans ce domaine où différentes positions divergentes ont leur légitimité en sciences humaine, affirmer sa vraie compréhension et sa pertinence.

Nous savons que son créateur ne prétendait pas répondre aux exigences scientifiques et à la rigueur méthodologique proposée par les paradigmes de la science moderne. Il souhaitait plutôt récupérer ce qui était nié par cette tradition scientifique. La Biodanza surgit comme une proposition primordiale qui nous permet de « renaître de nos gestes dépecés, de notre structure de répression vide et stérile », dont la base conceptuelle provient d’une « nostalgie de l’amour ». Nous savons aussi que la Biodanza ne se veut pas une psychothérapie ou une approche spécifiquement psychologique : Toro (2005) la conçoit comme un système essentiellement interdisciplinaire qui a surgi d’études sur l’art, l’anthropologie, la psychologie, la biologie et la sociologie.

Notre objectif cependant est de contextualiser cette approche par rapport aux problèmes humains et psychologiques en soulevant les problématiques et les contributions que cette discipline peut apporter aux sciences humaines en général et, en particulier, à la psychologie. Etant donné que la construction de la Biodanza s’est surtout faite pour chercher une réponse à « un problème vital de l’homme moderne » (G. Garaudy, 1980), notre objectif est, dans le domaine de la psychologie, de fournir une discussion « sérieuse et conséquente sur l’être humain comme une corporéité vécue et amoureuse » (Góis, 2002).

Nous comprenons que cette action est indispensable, d’un côté pour contribuer à l’avancée et a la systématisation théorico-méthodologique de la Biodanza de façon à réaliser une analyse plus profonde de ses fondements. D’autre part, cette action a pour but de permettre au public (profane ou spécialisé) la connaissance de cette discipline en contribuant à la divulgation, la reconnaissance et la compréhension de sa proposition essentielle. Nous invitons le lecteur à une réflexion plus profonde sur sa vision de l’homme, du monde et de la vie, en mettant en évidence les principaux présupposés historiques et sociaux du processus de construction des sciences humaines et psychologiques.


De la problématique de la science psychologique à la problématique humaine

La constitution de l’espace psychologique, selon Figueiredo (1991) naît dans le contexte de l’âge moderne où il y a une redéfinition à partir du 17ème siècle des relations sujet/objet. A ce moment, la raison contemplative laisse la place à la raison et à l’action instrumentale, faisant émerger la finalité utilitaire et pratique de la science comme présupposé intrinsèque à sa légitimation. La recherche de la vérité objective du caractère opérant des relations homme/monde, de l’affirmation de l’être humain comme seigneur de droit et de fait, capable de connaître, contrôler, prévenir et dominer la nature, sont des aspects qui émergent comme caractéristiques essentielles de la proposition d’un « nouveau mode d’existence pratico-théorique » proposé par le rationalisme, l’empirisme et le positivisme.

Plus que la détermination d’un mode de relation entre l’homme et le monde, la modernité installe dans la tradition scientifique l’attitude véhémente de méfiance, prudence et suspicion de l’être humain envers lui-même. Dès lors, la recherche de rigueur méthodologie de la science implique à extirper, neutraliser, dissocier et même nier des dimensions de la réalité humaine. D’un côté, l’expérience subjective, singulière, immédiate, sensible et émotionnelle a fini par représenter une illusion et une négation de la captation objective de la réalité. D’un autre côté, les phénomènes psychiques avaient besoin d’être réduits et soumis aux lois générales de mesure, d’explication, d’analyse, de quantification, de façon à répondre à une logique rationnelle, aux lois générales de la régularité et de la prévision, aux finalités utilitaires et technologiques, comme les objets des sciences naturelles.

Ces présupposés parviennent donc à pénétrer toute la culture occidentale, déterminant un vaste mode opératoire de lien entre l’être humain et le monde, la vie et lui-même : déterminant une façon d’exister !

Ceux-ci sont donc la seule base à partir de laquelle la psychologie cherche à se construire comme science et à examiner les grandes questions humaines. Cependant, comme l’explique Figueiredo (1991), devant la nécessité double et ambigüe, d’un côté, de reconnaître et privilégier la nature de son objet et, d’un autre côté, de tenir compte de la science moderne qui en de nombreux aspects nie la nature de cet « objet », la psychologie vit une crise permanente. Elle est ainsi comprise comme une science indépendante et unifiée, se construisant à partir d’une diversité de propositions théoriques et méthodologiques qui sont souvent divergents et opposés. Selon l’interprétation de Figueiredo, la recherche de chacune de ces positions s’unifie par la nécessité de réaliser un effort pour conférer à cette science le statut de « vraie science ». Nous comprenons toutefois que la recherche de reconnaissance et d’adéquation théorico-méthodologique pour traiter la réalité humaine est dans de nombreux positionnements un compromis et une exigence primordiale de la psychologie.

C’est ainsi devant le besoin de répondre à ce dernier compromis cité que de nombreuses approches psychologiques, ne cherchent pas seulement à élaborer de nouvelles méthodologies ou conceptions, mais surtout à réviser et réorienter les critères épistémologiques à partir desquels cette science peut se construire en respectant et reconnaissant la nature singulière de son « objet ». C’est dans cette perspective qu’il devient indispensable de comprendre ce qui repose dans les fondements de chaque proposition psychologique, mettant en évidence la vision de l’homme, du monde et de la connaissance, révisant même la conception de science qui les imprègne dans ce qui concerne leurs finalités, leurs objets et leurs propositions essentielles.

Ainsi, la caractérisation et l’organisation de « matrices de pensée psychologique » proposée par Figueiredo (1991) nous sont très utiles pour interpréter les différents versants de la psychologie qui ont émergé tout au long de l’histoire. Révéler le terrain dans lequel chaque position divergente prend sens et légitimité est une façon sérieuse de les confronter, de mettre en évidence l’ensemble de présupposés culturels et sociaux, des objectifs politiques, éthiques et idéologiques qui en sont l’origine et qui soutiennent leurs théories et leurs pratiques.

Situer la Biodanza dans ce contexte est la comprendre comme une réponse légitime devant la tentative de répondre aux problématiques, besoins et potentialités liées à une complexité des phénomènes humains. Il est clair pour nous que la Biodanza ne se construit pas dans les limites précises, ni dans le territoire des différentes psychologies. Comme le conçoit même son propre auteur, cette discipline naît d’un domaine interdisciplinaire. Elle n’est pas non plus fondamentalement engagée avec le « projet » historique de la psychologie (Figueiredo, 1991) qui est de se construire comme une science autonome et légitime. La question principale pour la Biodanza n’est pas de satisfaire, dans les paramètres de la rationalité instrumentale de la tradition de la science moderne, la rigueur scientifique pour trouver la vérité, la connaissance valide et utilitaire dans un sens technologique.

Mais plutôt, son engagement est de trouver, comme dirait Dilthey (cité par Amaral, 1987) une connaissance valide pour la vie ou de favoriser le contact comme un fondement psychique d’ordre préréflexif à partir duquel repose toute notre possibilité de connaissance rationnelle et scientifique, comme dirait Merleau-Ponty (1970).

Avant tout, sa préoccupation la plus grande est de récupérer la sensibilité humaine, la richesse de la rencontre, la poétique de la vie. Avant tout, son engagement méthodologique et son positionnement éthique est de trouver, au-delà des objectifs anthropocentriques de contrôle et de domination de la nature, des formes de connexion avec la vie et avec tout ce qui pour elle est une priorité. Son défi le plus grand est donc de se concentrer à reconstruire les nœuds et les liens dépecés par l’ère moderne entre la vie et l’humanité.

Pour cela, nous tenterons principalement à démontrer les critères épistémologiques à partir desquels la Biodanza se construit tout en cherchant en même temps à démontrer l’originalité de la contribution épistémologique que cette discipline peut apporter au domaine de la psychologie. La Biodanza cherche à retourner à l’origine des questions sur la finalité de l’existence humaine, sur le sens de la vie et de la rencontre humaine, non tant comme discussions théoriques, mais en cherchant à ouvrir de nouveaux chemins pour la pleine réalisation de notre être :

« Il sera nécessaire d’atteindre un nouvel ordre de pensée et de sensibilité pour relier les expériences internes qui ont le plus préoccupé les philosophes, les génies de la littérature et les chercheurs des sciences humaines. (…) L’heure est arrivée de penser de nouveau à l’amour, à la liberté et à la transcendance, non plus comme des concepts abstraits, mais comme des allusions immédiates, comme des expériences corporelles, comme ses noms que nous pouvons donner à nos formes de participation existentielle. Nous devons abandonner les traditions intellectuelles pour commencer cette méditation de notre vie personnelle, de notre besoin biologique d’amour et de transcendance. (Toro, 1991)


La Biodanza dans les matrices de la pensée psychologique

La Biodanza nous invite donc à construire un nouvel ordre de pensée et une nouvelle sensibilité humaine face à la vie, à la nature et à l’univers (Góis, 2002). Toro dit (1991), que plus qu’une science, elle est une « poétique de la rencontre humaine, une nouvelle sensibilité face à l’existence » et que « sa méthodologie favorise une participation subtile au processus évolutif ». Pour cela, dans l’essence de sa proposition, il y a le défi de faire une « inversion épistémologique » en référence aux paradigmes rationnels, positivistes et anthropocentriques car elle conçoit que la connaissance, le processus de croissance humaine et d’évolution de la conscience partent d’une base vivencielle et non rationnelle. Pour Toro (2006) ces processus ont leur origine et se fondent sur le principe biocentrique.

Le Principe Biocentrique (Toro, 1991) est l’axe paradigmatique central qui oriente toute la construction du système Biodanza, prenant comme fondement de base la compréhension que tout ce qui existe dans l’univers, des plus petites particules aux réalités les plus subtiles comme les émotions et les pensées, s’organise en fonction de la vie. L’univers est vu comme un système vivant unique et complexe, qui existe parce que la vie existe. Nous pouvons dire que celle-ci est une façon de comprendre la réalité qui s’étend au-delà des objectifs de notre société moderne qui a pour priorité la domination, le capitalisme, la compétition et l’individualisme. Cette compréhension souligne que c’est la vie, et non les intérêts anthropocentriques d’adaptation, le plus important, favorisant les aspects qui conspire pour elle. C’est pour cela que, au-delà d’un paradigme théorique, ce principe est comme un positionnement éthico-politique, une « manifestation de la sensibilité humaine face à la vie » (Góis, 2002).

Pour chercher à mieux comprendre cette proposition, nous proposons maintenant un dialogue avec les « matrices de pensée psychologique » réalisée par Figueiredo (1991) en cherchant, à partir d’une analyse épistémologique, de trouver les racines et les fondements de la Biodanza. Au départ, nous pourrions supposer que la conception du Principe Biocentrique, en cherchant à comprendre la nature et les potentiels humains à partir des lois qui caractérisent les structures vitales (Toro, 2006) coïncide, en partie, avec la proposition de la Matrice Fonctionnaliste et Organiciste.

Selon Figueiredo (1991), cette matrice conçoit que le comportement humain, et même les processus mentaux supérieurs, se constituent à partir d’une prédétermination et une finalité biologique. Amenant la notion de causalité fonctionnelle, les phénomènes vitaux, y compris les fonctions psychiques supérieures, sont expliqués en fonction de leur fonctionnalité. L’étude de l’instinct du point de vue de la « descendance phylogénétique » proposée dans la théorie évolutive de Darwin, souligne le caractère adaptatif du comportement animal et humain, faisant ressortir la finalité de survie de l’organisme.

Cette matrice qui est née avec la biologie amène une conception de temporalité aux processus de développement et d’évolution des êtres vivants qui dépasse la vision atomiste et mécaniciste.

L’atomisme et le mécanicisme cherchent une notion de causalité rigide et réduisent la temporalité à un processus d’enchaînement mécanique des potentialités, c’est-à-dire construisent une conception linéaire et unilatérale des développements de cause à effet.

La matrice atomiciste particulièrement cherche à effectuer une analyse des phénomènes de façon à identifier les éléments minimes qui les constituent et se combinent pour former les phénomènes complexes. Ces deux conceptions cherchent des relations déterministes des phénomènes ou des probabilités.

La matrice fonctionnaliste et organiciste, par contre, amène une perspective de causalité circulaire, dans laquelle les phénomènes sont surdéterminés et englobent leurs effets dans leurs propres définitions. Elle récupère la dimension de la totalité de l’organisme. De cette façon, elle conçoit qu’il y a une interdépendance entre les parties, ne les subdivisant pas entre elles, mais cherchant à respecter les systèmes fonctionnels, la totalité de la structure de l’organisme. Cette matrice a, de cette façon, récupéré les notions de valeur et de signification, dès lors qu’elle conçoit l’organisme doté de structures et d’intention, de processus d’interaction adaptative. Sa relation encore forte avec les matrices scientifiques se ressent à mesure qu’elle cherche à satisfaire la rigueur des méthodes empiriques et de mesure matériel, réduisant ainsi le comportement social humain et les phénomènes subjectifs aux paramètres des sciences naturelles, orientant le chercheur à « la recherche de l’ordre naturel des phénomènes psychologiques et comportementaux sous forme de classification et de lois générales ayant un caractère prédictif » (Figueiredo, 1991).

Nous pouvons dire que, de la même manière que cela se passe dans les théories de la matrice fonctionnaliste et organiciste, la Biodanza se dédie aux études de la biologie évolutive, des fonctions organiques et de la dimension physiologique du fonctionnement du psychisme (Toro, 1991, 2006 ; Góis, 2002). De fait, cette approche a comme présupposé que la santé mentale et le développement humain se structurent à partir des potentiels génétiques. Le mécanisme d’autorégulation de l’organisme est considéré, par exemple, comme une capacité caractéristique des niveaux supérieurs d’adaptation. La conception de l’identité personnelle amène une perspective conforme au principe de finalité vitale appliquée au comportement humain, aux aspects subjectifs, aux dimensions affectives et aux processus de l’existence sociale, dès lors qu’elle part du potentiel génétique humain.

Toutefois, en examinant plus minutieusement le fond théorique et méthodologique de la Biodanza, il va peut à peut être évident que la vision du Principe Biocentrique amène une perspective de l’articulation entre les dimensions biologiques et subjectifs au-delà d’un ordre purement naturel des phénomènes. La Biodanza s’engage, donne la possibilité de récupérer, de relier et d’intégrer des expériences psychologiques plus abstraites et subjectives que leurs dimensions corporelles, physiologiques, biologiques et vitales, sans toutefois réduire leur dimension transcendantale.

De fait, pour Toro (2006), la grande pathologie de construction du Moi en Occident émerge d’un processus civilisationnel dans lequel l’instinct est tordu, entraînant une dissociation entre corps et esprit, entre nature et culture, entre instinct et raison. De cette façon, la recherche pour récupérer le lien avec l’instinct ne l’est pas dans le sens de le prendre comme une détermination du comportement humain, mais de le comprendre comme une sagesse instinctive vitale qui nous habite, comme une impulsion créatrice pour la construction de nos vies et de notre propre identité personnelle.

Ainsi, nous percevons qu’il y a un dépassement des fondements du Principe Biocentrique par rapport à la vision fonctionnaliste et organiciste, nous incitant à le rapprocher plutôt de la même problématique apportée par les matrices vitalistes et naturistes et aussi par les matrices compréhensives. Formant un grand ensemble que Figueiredo (1991) a appelé matrices romantiques, ces matrices cherchent essentiellement à récupérer la spécificité des phénomènes subjectifs, se préoccupant à apprendre de l’expérience du sujet dans sa « vivencia concrète » avant l’abstraction et l’objectivation.

Toro (2006) affirme que les paradigmes structuraux du système Biodanza sont la conception de la vivencia proposé par Wilhelm Dilthey, la notion de corporéité vécue » proposée par la phénoménologie existentielle de Merleau-Ponty, la conception de l’identité et de l’existence proposée par Heidegger. Nous pouvons ainsi proposer, à partir de nouvelles articulations faites dans cette étude, que les conceptions vitalistes de Bergson et la conception de l’art proposée par Nietzsche sont fortement enracinées dans les présupposés de ce système.

Selon Figueiredo (1991), les matrices vitalistes et nativistes se fondent sur le bergsonisme, faisant ressortir la dimension introspective des phénomènes, de façon à souligner les informations, impressions et sentiments qui arrivent par une « voie privilégiée » qui n’est pas la raison. Critiquant l’inadéquation des méthodes des sciences naturelles pour englober la réalité humaine, cette perspective cherche à récupérer tous les aspects exclus, niés ou négligés par les matrices scientifiques.

La conception de la vie chez Bergson apporte une perspective de quelque chose de non prévisible ou non contrôlé, soulignant ses aspects indéterminés et créatifs, récupérant par rapport à l’expérience subjectif les aspects qualitatifs, indéterminés, créatifs et spirituels de la réalité.

De cette façon, elle privilégie la fonction d’intuition, la considérant plus adéquate que la raison pour capter de façon immédiate, préréflexive et présymbolique la réalité de la vie, de façon à ce que la connaissance flue à partir de l’expérience spirituelle et vivencielle.

Elle propose, ainsi, un autre traité avec la vie, différent de la proposition par la raison instrumentale, car l’intérêt qui prédomine n’est pas technologique ou de domination, mais esthétique, diminuant les différences entre sujet et objet de connaissance, la différence entre être et connaître.

De la façon dont le présente la Biodanza, le Principe Biocentrique s’achemine vers une base épistémologique dont le fondement pour gérer la réalité ne provient plus de paradigmes rationaliste ou positivistes ou de propositions et finalités anthropocentriques. Comme ce fut déjà expliqué avant, la vision biocentrique place la vie comme centre, cherchant à percevoir la réalité de façon complexe et intégrée, valorisant toutes formes de relation et de connaissance possibles, avançant de nouvelles propositions de pensée, de lien et d’organisation de la culture (Vecchia, 2004).

Dans cette perspective, la catégorie vivencia surgit comme paradigme épistémologique distinctif et « révolutionnaire », impliquant une nouvelle façon de nous relier avec la connaissance, avec nous-même et avec la vie, et la considérant comme une forme d’accès privilégié à la conscience de soi et du monde (Toro, 2006). Le concept de vivencia émerge comme la base de la méthodologie de la Biodanza qui s’appelle donc vivencielle.

Wilhelm Dilthey (cité par Amaral, 1987), fut celui qui inaugurât le concept de vivencia en le comprenant (en opposition au concept de représentation de Hume qui concevait que l’activité de la connaissance se limitait à une activité intellectuelle ou à une simple captation sensorielle) comme « le principe de totalité de la vie psychique ».

En tant que « faits de conscience » ou « faits d’esprit », la vivencia est la conjonction du contact concret avec un monde et les « conditions invariables de notre conscience » et garde donc dans sa constitution des aspects empiriques et transcendantaux de la réalité.

Intérieurement, la vivencia prend naissance comme une « expérience pleine et non mutilée », formée par l’unité indissociable et intégrée entre « je pense, je sens, je désire ». Cette conception élargit la vision psychologique de la réalité animique vers une base biologique, historique et concrète : le terme vivencia se réfère à la compréhension que l’expérience psychique correspond à un « schéma originel fondamental » ou à une « racine vitale » propre à tous les êtres vivants, établissant l’être humain comme un être vivant. La vie, dit Dilthey, « (…) est où existe une structure qui part du stimulus au mouvement (…). Il n’y a pas dans toute la vie antérieure aucun lien plus primitif que celui-ci » (Amaral, 1987).

La proposition de Dilthey (Amaral, 1987) fut de considérer de nouveau le psychisme à partir des conditions vivantes de la réalité du monde et de sa propre réalité psychique. La considération d’un homme concret, sensible et non seulement intellectuel ou sensoriel, cherche à rendre au psychisme et à sa propre nature un caractère qualitativement distinct d’un ordre naturel et mécanique de la réalité, dépassant la dichotomie et la dissociation entre un monde matériel ou spirituel. Pour Dilthey (Amaral, 1987), nos sentiments, émotions et désirs sont, à l’égal des idées, des « représentations » constitutives de notre psychisme, devant former un ensemble harmonieux et une structure fonctionnelle intégralement indissociable. Récupérer le principe de totalité de la réalité de la vie est la possibilité de compléter ce qui est donné à la conscience comme un « lien universel et objectif ».

Dans la théorie de la Biodanza (Toro, 2006), le concept de vivencia est élaboré à partir de Dilthey et se réfère à une « expérience vécue avec une grande intensité par un individu dans un moment présent qui englobe la cénesthésie, les fonctions viscérales et émotionnelles », ce qui correspond donc à une fonction psychique archaïque de connexion avec la vie. Dans un autre passage, de plus, elle est conçue comme « la perception intense et passionnée d’être vivant ici et maintenant. C’est l’intuition de l’instant de vie capable de faire tressaillir harmonieusement le système vivant humain. Le point de départ en Biodanza est la vivencia et non la conscience (…) » (Toro, 1991)

A partir de l’expérience de la facilitation en Biodanza, cet auteur (idem.) a systématisé les caractéristiques essentielles de la vivencia qui sont : l’expérience originelle (unicité), l’antériorité à la conscience (immédiateté), la spontanéité, la subjectivité (intimité), l’intensité variable, la temporalité (éphémère), l’émotion, la dimension cénesthésique (englobe tout l’organisme), la dimension ontologique (perception d’être vivant) et la dimension psychosomatique (intégration psychique-organique).

Comme découlant de cette conception, Toro (1991) propose que le phénomène du Moi soit compris à partir du phénomène de l’identité personnelle. Celle-ci, en tant que totalité de l’individu, doit être abordée au-delà des aspects intellectuels et s’étendre à une base biologique. Pour Dilthey (cité par Amaral, 1987), c’est dans l’intégrité des dimensions biologiques et culturelles que reposent la vraie force et la vitalité, la nature réelle créative du psychisme humain.

Pour Toro (1988), dans l’identité conçue comme une unité psychobiologique, “il y a une essence de vie indestructible”, une forcé capable de marcher en direction d’espaces de bonheur, d’amour, d’union et de transformation.

C’est pour cela que le défi évolutif de l’identité personnelle dans la conception de la Biodanza présuppose le défi de son expression et de son émergence à partir des sources originaires de vie psychique : de la vivencia (Amaral, 1987). Dans la méthodologie vivencielle donc, le parcours suivi dans la facilitation du développement de l’identité va de la vivencia aux significations. Selon Góis (2002), l’identité en tant que phénomène de totalité, “n’est pas comprise par le conceptuel, mais par le vivenciel », car elle est formée, au-delà des processus abstraits, dans l’ici-maintenant qui est le lieu de l’apparition de l’identité. A partir de cette inversion épistémologique, on comprend que les expériences subjectives, avant même d’être pensées ou analysées par la conscience, se présente originellement comme une expérience préréflexive, corporelle, émotionnelle, esthétique et cénesthésique.

La Biodanza cherche ainsi à renforcer et révéler l’identité par la vivencia originelle de se sentir vivant, du sentiment de soi, en comprenant l’expression la plus originelle de l’identité comme présence, comme « être-dans-le-monde », comme « corporéité vécue », telle que la conçoit la phénoménologie existentielle de Merleau-Ponty (1991).

Selon Junior et Camargo (1992), la philosophie de Merleau-Ponty a cherché à construire une connaissance à partir des conditions concrètes de l’existence et de l’essence, en partant de l’expérience du monde qui est antérieur à l’expérience de penser sur le monde. Le monde sensible est considéré ici comme la genèse et la base sur laquelle se fonde la vérité, la pensée et son sens, car son « existence est plus vieille que l’univers de la pensée » (1970). Selon Merleau-Ponty, la science émerge d’un « monde vécu » qui correspond à notre première perception de la réalité, à notre vision naturelle et originelle donnée dans la condition d’être-dans-le-monde. L’auteur dit que la foi dans le monde émerge d’un « fond de silence et de non réflexion » à partir duquel nous l’expérimentons comme « une évidence et non comme un doute » (Merleau-Ponty, 1970). De cette façon, la subjectivité doit être comprise comme un arrangement de même structure totale que le monde objectif (1991) car elle ne nie pas l’objectivité mais la complète, formant avec elle une unité, en tant que partie d’une même monnaie.

Le monde concret éveille nécessairement la sensation d’un Moi qui est chair et esprit, un Moi qui occupe un espace dans le monde et se forme dans le tissu intégrant de la réalité (Merleau-Ponty, 1970). De cet endroit banal, la subjectivité est conçue comme une expérience « émotionnelle et quasi charnelle, où les idées, tant celles des autres que les nôtres, plus que de les entendre, nous les accueillons ou les rejetons avec amour ou haine (idem.) Ainsi, la conscience s’enracine dans le corps, construisant des sens et des significations vitales, se manifestant originellement comme une « pensée sauvage », comme une présence ontologique, comme une captation intuitive, antérieure à la réflexion ou à la pensée.

La complexité du comportement humain (Junior et Camargo, 1992) est intégrée dans une dimension de totalité, car l’organisme vivant et le psychisme sont une seule réalité intégrée. La notion de structure émerge donc en tant que fondement d’une réalité totale qui n’a de sens qu’en agissant conjointement avec les autres. Cette idée cherche à transposer le dualisme corps-esprit, sujet-objet, homme-monde avec l’idée d’une jonction existentielle inséparable.

Le comportement humain, selon la thèse principale de Merleau-Ponty (Junior et Camargo, 1992) doit être compris comme un possesseur d’intention et de sens, fruit d’une « expérience vécue et existentielle ». Il se structure à partir de trois niveaux : physique, biologique (vital) et mental qui sont irréductibles l’un par rapport à l’autre et ont une relation d’interdépendance.

Merleau-Ponty (idem.) propose ainsi que la tâche de la philosophie phénoménologique soit de retourner au quotidien concret et aux choses mêmes, permettant un rapprochement du monde qui était déjà là, avant la réflexion et la connaissance scientifique. L’expérience intérieure se fait à partir d’un acte perceptif d’entrelacement corps-monde, soulignant la qualité de l’irréfléchi, du préréflexif, du monde vécu. De cette façon, la notion de déterminisme est dépassée dans la mesure où la liberté humaine se constitue comme un être en situation, irrémédiablement lié au monde. D’un côté, l’être humain n’ai jamais totalement libre, ni n’a le contrôle absolu de la réalité. D’un autre côté, il est sollicité par le monde et est ouvert à une infinité de possibles. La notion de conscience est reliée, non comme quelque chose de fermé sur lui-même, mais est ouverte au monde comme cela même qui est vécu.

La notion de corps dans la phénoménologie (idem.) dépasse particulièrement le concept du corps comme un objet et un instrument, comme l’est le concept idéaliste de corps en opposition à l’âme. Merleau-Ponty considère qu’on n’a pas un corps, mais qu’on est un corps : on a un « corps vécu ». Un corps qui perçoit et en même temps est perçu, qui s’affirme comme le propre attribut de l’être, car c’est à partir de lui qu’on peut être dans le monde, en lien avec les choses, avec les autres.

Le « corps vécu » et sensible permet une communication vitale avec le monde, rendant celui-ci le lieu familier de notre vie. Le corps sent et s’ouvre à ce qui est en nous, il n’est pas nécessaire de penser pour comprendre.

Merleau-Ponty cherche la compréhension de la vie humaine dans l’entrelacement du corps avec le monde, outrepassant le subjectivisme d’une philosophie de la conscience dans une perspective intrapsychique.

De cette façon, la Biodanza cherche à récupérer par la danse (comme mouvement expressif, spontané et esthétique, comme cela fut déjà expliqué avant dans l’introduction) la sensibilité endormie, l’exaltation de l’être humain, le mouvement de vie et d’intimité, l’impulsion à l’union à l’espèce : la vivencia est la voie privilégiée d’accès à une dimension vitale de l’identité. Comme le propose Toro (2002), la nature de la conscience ne se limite pas à la connaissance rationnelle, aux fonctions de la pensée, du langage verbal, mais englobe aussi des aspects éthologiques, mystiques et esthétiques : préréflexifs. En accord avec sa proposition d’une inversion épistémologique, « la vivencia, avec toutes ses connotations cénesthésiques » constitue « un modèle d’exploration de l’origine de la conscience » (Idem.).


Conclusion

Ce fut parmi ces fondements épistémologiques que Rolando Toro a structuré une méthodologie conçue pour stimuler des vivencias positives et agréables, et tournées ainsi vers l’intégration et le développement humain par la stimulation des fonctions archaïques de connexion avec la vie, et avec l’individu lui-même. Les vivencias dans les séances de Biodanza cherchent à englober non seulement les fonctions corticales mais à passer à trois niveaux : cognitif, vivenciel et viscéral.

Ainsi, on ne cherche pas à travailler au niveau verbal, mais esthétique, allant de la vivencia à la signification. Toro reconnaît que les changements et les transformations se font au niveau préréflexif de la conscience.

Cette méthodologie se propose d’agir de façon positive sur la dimension saine des individus, par la facilitation de vivencias intégrantes, organisées en cinq lignes de vivencia (vitalité, sexualité, créativité, affectivité et transcendance) et induites par la combinaison de la musique, de l’expression corporelle et de l’intégration groupale. Cette méthodologie se propose surtout d’être un espace d’expression du potentiel créateur, de construction de liens et de relations saines, du renforcement de l’identité et de l’épanouissement des potentiels humains.

Ainsi, le grand apport que la Biodanza amène au champ de la psychologie est le fait de considérer, dans les processus de facilitation du développement humain, les dimensions originelles vitales de la conscience de l’identité humaine, permettant un processus de changement qui s’enracine dans une dimension instinctive, émotionnelle et intuitive. Pour Toro (2002), la pathologie du Moi et de l’esprit occidental se caractérise par la scission entre la nature et la culture. Ainsi, cette approche propose, par la récupération des gestes essentiels, de restaurer chez l’être humain le lien originel avec l’espèce comme totalité biologique. Pour Toro (1991), « une session de Biodanza est une invitation à participer à la danse cosmique (…) la danse est un mouvement profond qui surgit du plus profond de l’homme. Elle est un mouvement de vie, elle est rythme biologique, rythme du cœur, de la respiration, impulsion de lien avec l’espèce, elle est mouvement d’intimité. La danse est la célébration de notre communauté avec les hommes et notre légitime joie de vivre. Chaque personne parfois sans être très consciente de cela, danse sa vie ».


Références bibliographiques

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Perspectiva e Ed. Da Universidade, 1987.

FIGUEIREDO, Luis Cláudio. Matrizes do pensamento psicológico. Petrópolis: Vozes, 1996.

GÓIS, Cezar Wagner de Lima. Biodança- identidade e vivência. Fortaleza: Edições Instituto Paulo Freire do Ceará, 2002ª.

JÚNIOR, Nelson Coelho e CAMARGO, Paulo Sérgio do Carmo. Merleau-Ponty filosofia como corpo e existência. São Paulo: Editora Escuta, 1992.

MERLEAU-PONTY, Maurice. Signes. Paris, Folio Essais, 2001

PINHO, Ana Maria Melo. El valor ético Del arte. Buenos Aires: Editora Libres, 2003.

TORO, Rolando. Collections de textes de Biodança. Org. Cezar Wagner de L. Góis. (1ª Edição: 1982,

Fortaleza, Escola Nordestina de Biodança), 2ª Edição, Fortaleza, Editora ALAB, 1991.

_____________. Projeto Minotauro- Biodança. Petrópolis: Vozes, 1988.

_____________. Biodanza, Editions le Vivier, 2006

VECCHIA, Agostinho Mario Dalla. Aspectos da metodologia em Biodança. Pensamento Biocêntrico. Nº 1, 7-21, out/dez, 2004.

__________. Afetividade e a estrutura teórica unificada e sistêmica de Fritjof Capra. Pensamento

Biocêntrico. Nº 4, 53- 80, jun/dez, 2005.

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