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L’existence en tant qu’embryologie poétique par Rolando Toro Araneda

« Nous arrivons trop tard pour les Dieux et trop tôt pour l’Etre. De l’Etre, l’homme est un poème inachevé » (Martin Heidegger).


Si l’homme est un animal poétique, un poème incomplet, chaque individu déploie au cours de son existence le poème de son identité. Peu d’entre nous sommes conscients du sens de la totalité et de la sémantique mystérieuse qui surgit des actes quotidiens et de la rencontre avec le monde.


« Permets-moi seulement de me rappeler d’être maintenant cette fleur de silence parmi les grandes hécatombes (Ludwig Zeller). C’est ici une formulation sur la beauté et la frayeur de la conscience d’être au milieu de l’éternité. Nous nous dérobons à l’essence et craignons la frayeur et la grâce de vivre.


Dans le projet poétique humain, le temps et l’espace se structurent d’une façon très personnelle. Le fait de vouloir donner une typologie à l’existence selon des modèles de structuration spatio-temporels serait une tâche vouée à l’échec. Nous pouvons dire qu’une personne est plus lente, plus rapide, qu’elle préfère les espaces ouverts ou fermés, qu’elle tend plutôt à vivre dans le passé que dans le futur. Mais ces descriptions sont une pure abstraction et ne sont pas de bons modèles pour décrire une vie.


Binswanger a fait un pas en avant quand il a proposé une phénoménologie du temps et de l’espace vécu. Cette approche a une valeur opératoire, comme quand elle démontre qu’un schizophrène a modifié sa structure spatio-temporelle quand il a commencé à écrire des lettres, changeant pour un espace-temps plus organique. Par cet acte, le schizophrène s’est projeté à la rencontre de personnes connues dans le passé et a lancé une sonde à travers l’espace en recherche de contact.


Une vraie phénoménologie de l’espace- temps vécu doit nécessairement être poétique, c’est-à-dire doit recourir aux vivencias et aux sentiments que produisent certains lieux, certains objets, la rencontre avec les personnes, le contact de la brise et du soleil sur la peau ; mais tout cela, rempli d’épiphanie.


Octavio Paz, avec la même optique, dit : « Notre poésie est conscience de la séparation et tentative de réunir ce qui fut séparé (l’homme et sa création, l’homme et son semblable) ».

Dans le poème, l’être et le désir d’être font un pacte pour un instant, comme le fruit et les lèvres. La poétique de l’espace-temps vécu est donc une perspective transcendante et pour pouvoir entrer dans le poème de la créature, il faut entrer en extase avec elle.


« Dans l’immobilité de l’air, le feu laissait tomber l’or de sa respiration pesante. Il n’avait jamais vu la coupe des sanglots de l’univers aussi pleine. Immense, éternelle, épouvantable Réalité. De toutes les possibilités, tu es la plus extraordinaire » (Lubicz Milosz). La perception de vivre un moment unique et éternel dans cette Réalité telle qu’elle est, sans attente, sans empressement, sans nostalgie, dans le vide où les choses apparaissent, dans une réalité qui respire, dans cette atmosphère où tout arrive à être ». « Que c’est étrange de voir le fil que nous avons tissé étendre ses fins filaments à travers les espaces brumeux du monde extérieur » (Virginia Woolf).


Le sacré originaire existe sans conjecture, surgissant de toujours avec une certaine nudité inerme. Poétiquement se fait la rencontre et la créature et les objets-visages là où ils ont toujours été et où ils ne sont déjà plus. Ainsi, cette poétique est essentiellement une cérémonie de contact, prendre contact avec le courant de la vie-autre, où chaque chose parle de soi pour toi, l’ultime frontière, l’ultime verset de notre poème personnel est l’acte du contact, dont la nature est voluptueuse et fugace, dont l’expérience remplit notre « coupe de sanglots », c’est-à-dire se remplit dans la douleur et le bonheur. Dans cette perception, il y a un élément essentiel : La nature est une créature incomplète, inachevée, en voie de parvenir à être, c’est-à-dire livrée à la temporalité.


« Habiter poétiquement veut dire : se tenir en la présence des dieux et être atteint par la proximité essentielle des choses « (Heidegger). Quel est le temps vécu d’un homme qui creuse la mine dans l’obscurité de la terre ? Quel est le temps vécu d’un homme de 83 ans qui regarde la pluie par la fenêtre ?


La vivencia de ces espaces-temps personnels actualise dans notre conscience, à chaque instant, la qualité irréductible de la vie, pure et non contaminée malgré la violence qui émerge par les crevasses d’une condition dissociée. Dans cette brise de la rencontre et de la perte surgit la nostalgie de l’unité.

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