« Depuis le temps des cavernes, l’Homme manifestait déjà son humanisation par le jeu. Un tel acte peut être vu dans ses peintures rupestres, dans ses danses, dans ses manifestations de joie » (Lima Martinez, 2004 :6).
En ce sens, le jeu est présent depuis toujours en nous. Il fait partie du processus d’évolution de la croissance de tous les êtres humains, de l’humanité. Tous, à un certain moment de notre enfance, nous avons joué, pourtant la présence d’objets, de jouets ou de personnes ne sont pas nécessaires pour pouvoir jouer. Car le plus important est d’avoir l’imagination ouverte et disponible, d’être disposé à ce qu’une boîte à chaussures devienne un garage où garer une petite voiture en boîte d’allumettes. Avec un peu d’imagination, tout est possible.
Les grandes découvertes font partie de ce monde fantastique de l’imagination, où il n’y a pas de limites et tout peut se passer.
« La capacité créative de l’homme, de par ses conditions génétiques et existentielles, n’a pas de limites. Les exigences de la vie sont l’expansion et l’harmonisation » (Della Vecchia, Agostinho, 2002 :61).
Le jeu dans l’univers des adultes est un besoin important car certains « prennent la vie trop au sérieux », perdant le naturel, la spontanéité que la vie nous apporte, à chaque moment. Nous devons savoir nous ajuster, avoir la fluidité nécessaire, sans perdre les rôles sociaux que nous devons vivre au quotidien. Tout a un temps et pour chaque chose ou chaque situation, nous avons un début, un milieu et une fin ; comme un jeu où la vie se passe dans l’instant présent et demande à chacune d’entre nous notre plus grande attention. Ensuite, ce moment fera partie du passé. L’enfant le sait, c’est pour cela qu’il vit intensément chaque jeu comme si c’était la dernière fois et c’est pour cela qu’il ne veut jamais s’arrêter.
Jouer c’est rénover la vie en nous et dans notre entourage, un chemin de santé et d’intégration existentielle.
« De la même façon que la personnalité de l’adulte se développe par ses expériences de vie, celle des enfants se développe par l’intermédiaire de ses propres jeux réalisés par d’autres enfants ou des adultes. En grandissant, les enfants augmentent graduellement leur capacité d’amplifier la richesse du monde réel extérieur. Le jeu est la preuve évidente et constante de la capacité créatrice qui veut dire vivencia » (Winnicott, 1982 :163).
En réfléchissant sur ce que nous dit Winnicott, on peut aussi penser que dans cette pulsation entre Conscience Amplifiée de soi-même et Régression, les deux sont des aspects complémentaires de l’Identité dans la vision de la Biodanza. C’est une façon, une possibilité que, dans le jeu, les adultes développent de nouveaux potentiels et débloquent ceux existants, pour s’exprimer pleinement.
Comme le relate un élève, après de nombreuses classes travaillant sur la ligne de la créativité au travers de différents jeux, jouant un jour avec sa nièce il oublia la peur qu’il avait du ridicule et sa rigidité et arriva à jouer avec elle d’une façon incroyable pour lui. Il se sentit plein et heureux car il avait dépassé une de ses peurs la plus profonde : celle de ne pas être créatif.
Le jeu, dans la vision biocentrique, est un chemin de profondes vivencias intégrantes. Celles-ci travaillent les cinq lignes de vivencia ou canaux biologiques par lesquels la vie s’exprime, en permettant leur manifestation, leur potentialisation et leur intégration.
« Les vivencias sont l’expression de l’entrelacement de la vie instinctive avec le monde des valeurs et de la symbolique ; elles sont propres à l’être humain et ont besoin de la réalité historico-sociale pour se manifester (Wagner Cezar, 2002 :80).
Dans le jeu, nous observons que les cinq lignes de vivencias que la Biodanza propose s’intègrent :
a) La Vitalité parce qu’elle a besoin de la présence active du participant, de l’autre ; la joie et la disposition pour jouer sont très présentes. Elles sont une des sources qui propulsent la vie, l’envie de vivre, d’être dans le monde.
« La force, l’élan, l’énergie vitale, la vigueur et la consistance biologique et existentielle sont des manifestations de la vitalité » (Wagner Cezar, 2002 :89).
Certains jeux sont plus actifs – énergiques que d’autres plus calmes – tranquillisants.
Ainsi, par exemple, le plus actif : le facilitateur demande à un membre du groupe d’aller au centre et de faire un mouvement dans le rythme de la musique et le reste du groupe accompagne son mouvement.
Ou un des plus calmes : le miroir à deux (mimiques à deux), où le premier fait un mouvement dans la mélodie de la musique et l’autre l’accompagne en accompagnant son mouvement. Cela peut également être l’éventail chinois, ou en se regardant à travers les doigts de la main, nous rencontrons le regard du compagnon et nous nous relions affectivement. Dans la polarité du modèle théorique entre conscience amplifié de soi-même et régression.
b) La Sexualité parce qu’elle nous redonne le plaisir de jouer, d’être présent dans ce qui se fait. Elle nous apporte différentes sensations corporelles agréables qui découlent du jeu, du contact et du lien affectif.
Comme le dit Winnicott : « Les enfants ont plaisir à des jeux physiques et émotionnels » (1982 :161). De la même façon, c’est pareils chez l’adulte après qu’il ait dépassé le fait de se sentir inadéquat et ridicule.
Ceci, je l’ai observé dans des groupes d’adultes quand je propose ce type d’activité, au début c’est un mouvement stéréotypé, rigide et ensuite (peu à peu) les personnes commencent à se relâcher, à profiter, à éclater de rire avec un plaisir intense, rempli de bien-être.
J’ai également observé, dans mon travail avec des enfants en situation de vulnérabilité sociale, que ceux-ci avaient intégré cette question du contact et du plaisir dans leurs jeux, d’une façon très naturelle et spontanée, où le rire, le contact physique se faisaient librement. Nous, adultes, somme capables après avoir dépassé de nombreuses peurs, de trouver cette capacité que ces enfants ont déjà. Pourtant, beaucoup d’entre eux sont dans la misère économique, affective et, malgré cela, ils vivent des moments simples de contact et de plaisir. Sans aucun doute, les enfants sont toujours nos petits maîtres pour nous aider à trouver le lien entre le contact et le plaisir, par le jeu, la spontanéité et la simplicité.
c) La Créativité est la ligne de vivencia où se trouve le jeu, se manifestant sous différentes formes : improvisation, ridicule, inespéré. C’est la capacité d’accoucher de nous-mêmes, l’autopoïèse de Rolando Toro.
« Créer signifie entre autres, transformer, innover, grandir, changer soi et le monde avec le même geste, le même acte » (Wagner Cezar, 2002 :90).
Dans la majorité des vivencias proposées en Biodanza, on n’utilise pas d’objets comme intermédiaire du jeu parce que cela permet qu’entre en scène l’imagination. Quand il n’y a pas de jouets, nous devons l’imaginer. Ainsi, notre capacité d’imaginer devient plus grande car nous pouvons créer l’objet avec la taille, la forme, la couleur et l’odeur que nous voulons. Ceci veut dire, avec les mots d’adulte, c’est qu’avec peu, nous pouvons faire beaucoup.
« Nous savons tous que les jeux d’enfant manifestent l’action de l’impulsion créative humaine. Beaucoup développent un degré élevé d’imagination. La facilité avec laquelle l’enfant le fait montre que son monde est en grande partie subjectif, avec beaucoup de sentiments emmagasinés, prêts à être utilisés. Comme il n’est pas soumis à des pressions ou des responsabilités, l’imagination arrive à transformer la réalité en un monde féérique où il y a des possibilités illimitées pour l’expression de soi et le plaisir » (Alexander Lowen, 1984 :15).
Jouer est une nouvelle possibilité de récupérer quelque chose qui, dans le fond de notre cœur, reste endormi et de l’exprimer avec toute sa force, en pouvant recréer notre vie.
« Ce que nous devons exprimer existe déjà en nous, de sorte que travailler la créativité n’est pas une question de faire surgir le matériel, mais de débloquer les obstacles qui empêche leur flux naturel » (Nachmanovitch Stephen, 1993 :21).
Nous devons apprendre avec les enfants à développer cette profondeur d’être entier, de nous plonger dans le jeu et d’oublier le temps et le lieu. C’est seulement ainsi que nous découvrirons de nouvelles formes créatives de lien intégré, original et créatif avec le monde.
« Créer ne peut être vu que dans un sens global, comme une action intégrée, un vécu humain. De fait, créer et vivre sont reliés. (Ostrower Fayga, 1987 :5).
d) L’Affectivité par le fait que beaucoup de jeux ont besoin d’un lien affectif, de l’autre comme une possibilité pour que le jeu se fasse. L’affect, le lien qui se génère peut être très profond, en créant plus de besoin de se relier pour pouvoir jouer, se regarder les yeux dans les yeux. Ceci nous permet de réfléchir sur certaines questions comme : est-ce que je prends soin de l’autre quand je joue, comment je joue, car dans certaines vivencias il y a le changement : maintenant l’un, maintenant l’autre, ce qui demande plus d’attention dans que j’ai quand je joue avec l’autre, comment je traite l’autre, avec les choses de l’autre, avec les « choses » en général de ma vie.
Le jeu peut permettre des moments de profonde empathie amoureuse entre les participants des jeux –vivencias, permettant de renforcer ce fil qui soutient la vie : l’éthique.
« C’est la source de l’éthique, le chemin par lequel l’être humain peut construire collectivement une société démocratique et amoureuse – de prendre soin de nous » (Wagner Cezar, 2002 :92).
C’est aussi un chemin pour apprendre à établir de nouveaux liens plus intégrés et plus sains.
« Le jeu offre une organisation pour l’initiation des relations émotionnelles et régule le développement du contact social » (Winnicott, 1982 :13).
Dans l’affectivité et dans le jeu se trouve aussi le germe de notre orientation professionnelle, dans le jeu, l’enfant commence à vivre sa capacité d’aimer ce qu’il fait. Ceci pourra être, quand il sera plus grand, l’aspect professionnel qu’il-elle exercera, qui sens à son existence. C’est pour cela que, lors de moments de désorientation professionnelle, nous devons regarder vers nos jeux d’enfants. A quoi jouions-nous ? A quoi aimions-nous jouer ? Quel sentiment j’avais quand je jouais à ce jeu ? C’est là que peuvent être certaines des réponses que nous cherchons.
e) La Transcendance est toujours présente parce que, dans le jeu, nous oublions souvent le temps, l’espace et même la proposition de celui-ci. Transcender c’est aller bien au-delà de ce qui nous limite, ou de nos possibilités que nous connaissions jusqu’à aujourd’hui et de notre égo (une image de soi-même pas aussi réelle que cela).
« Nous croyons que la transcendance est le chemin d’humanisation de l’homme et parfois la seule efficace pour le combat contra la pauvreté (de tout type) qui menace l’espèce humaine, car elle favorise le dépassement des limites en permettant l’accès à de nouveaux échelons dans la frontière évolutive (Spode, Schleder, 2006 :54).
Vivre la possibilité que l’autre puisse jouer avec moi, nous abandonner à cette relation si particulière d’être un objet acteur du jeu, permet de sortir du monde de mon égo pour m’abandonner à une relation d’égal à égal, à une relation profondément humaine.
L’Enfant Divin
Quand l’adulte joue, il se relie à l’Archétype de l’Enfant Divin, il est le propulseur de la vie en nous en nous permettant de récupérer l’innocence, la spontanéité et l’envie de vivre.
« L’Enfant Divin en nous est la source de la vie (Rober Moore, Douglas Gillete, 1993 :22).
L’archétype est une image inconsciente, avec un fort contenu émotionnel, c’est l’histoire de l’humanité en nous qui se manifeste par la peinture, la sculpture, la littérature, dans tous les arts.
« Tous les êtres humains ont plus ou moins accès à ces archétypes. Nous le faisons, en vérité, dans nos relations les uns avec les autres (Rober Moore, Douglas Gillete, 1993 :9,11).
Une façon de savoir comment il se trouve, c’est d’observer nos rêves : s’ils ont des images d’enfants qui jouent, s’ils sont joyeux, s’ils ont des couleurs, et quel est le sentiment qu’éveille en moi ce type de rêve. Une autre façon est d’observer comment est notre relation avec les enfants en général, si cela nous plaît, comment est le lien que j’établis avec eux, si j’arrive à jouer, si je les accepte ou les tolère seulement un peu, ou s’ils m’irritent. Les enfants sont un miroir pour pouvoir regarder notre Enfant Divin.
La vérité est que l’enfant est en chacun de nous quand il occupe la bonne place dans notre vie. C’est une source de jeux, de plaisir, de diversion, d’énergie, d’une espèce de libéralisme qui est prêt à l’aventure et à affronter le futur (Rober Moore, Douglas Gillete, 1993 :14).
Ce qui est fondamental dans le lien avec cet archétype, c’est qu’il ne se manifeste que quand il est nécessaire, ne restant pas emprisonné en soi. C’est une pulsation qui se passe naturellement, non un stéréotype. Sinon nous commencerions à avoir un conflit.
Le lien avec cet archétype peut être un chemin vers la santé et l’intégration existentielle.
Croître, vivre et jouer
Jouer dans la vision de la Biodanza signifie pouvoir reprendre un chemin de lien avec notre innocence, avec la capacité de pouvoir toujours voir la vie comme une nouvelle occasion de croître, d’être. Sans tant de préjugés, tant d’idées préformées, sans tant d’excuses, de fautes pour pouvoir avoir plus de plaisir dans notre quotidien.
« La créature qui joue est plus apte pour s’adapter aux changements de contextes et de conditions » (Nachmanovitch Stephen, 1993 :51).
Jouer peut aussi signifier changer, créer de nouvelles variantes, de nouvelles situations plus réconfortantes pour l’être humain.
La Biodanza favorise donc un espace excellent à travers les jeux existants dans sa méthodologie (d’autres qui peuvent s’adapter et se créer dans sa vision biocentrique). Il peut y avoir différents apprentissages : comme quand l’ « autre » est un jouet, cette possibilité de pouvoir jouer avec quelqu’un, connecté par le regard, par le contact ou par l’affect. Savoir se lier et prendre soin du « jouet », percevoir et être perçu par quelqu’un, cela permet sans doute d’avoir une vivencia profonde de valeurs, d’éthique sur le soin à la vie.
Il existe aussi tout un apprentissage corporel, essentiellement par le mouvement, le contact lié à la présence de l’autre, c’est une porte pour de nouvelles perceptions sur notre « mouvement dans le monde, notre danse de la vie ». Une récupération du mouvement, de gestes plus simples et fluides.
« La conséquence du manque d’exercice (ou d’exercice insuffisant) est la rigidité du corps et du cœur ; et un nombre chaque fois plus réduit de moyens d’expression » (Nachmanovitch Stephen, 1993 :51)
Le sentiment de joie qu’éveille le jeu est aussi un élément profond de santé et d’intégration existentielle.
« La vivencia qui travaille avec le ludique agit directement sur l’humeur endogène dans l’inconscient vital » Rolando Toro.
Cela signifie que les jeux agissent directement sur toute notre existence, sur notre vie, dans un sens profond. Ils sont des stimuli de notre identité, renforçant l’estime de soi et l’image de soi, pouvant donner une nouvelle perception de soi et du monde qui nous entoure, pouvant être profondément transformateur dans la vie des personnes.
« Nous exprimons notre existence en créant. La créativité est la séquence naturelle de l’être » (May Rollo 9 Edição. Editora Nova fronteira: 8)
Par le jeu nous pouvons reprendre le chemin du réapprentissage à l’expression avec plus de simplicité et de plaisir, récupérant notre joie de vivre.
Bibliographie
Dalla Vecchia Agostinho. A Educação Integrada á Vida. Edição Independente, Pelotas – Brasil, 2002.
Góis,Cezar Wagner de lima. Biodanca-Identidade e vivência 2 edição em brasileiro, fortaleza, 2002
Spode Schleder, Eni A. Reeducação afetiva. Porto Alegre: Imagens da Terra, 2006.
Winnicott, W. Jeu et réalité. Paris, Gallimard, Folio Essais, 2002
Lima Marilene. Revista do professor, Porto Alegre – 20(78) 5 – 7 Abril/Junho 2004
Toro Rolando. Teoria de biodanca. Coletânea de Textos. Fortaleza: ALAB, 1991.
Lowen, Alexander. Le plaisir. Paris, Ed. Tchou, 1977
May Rollo. Psychologie existentielle. Edition Epi, 1986
Nachmanovitch Stephen. Ser criativo. Editora Summus. São Paulo, 1993
May Rollo. A coragem de criar. Rio de Janeiro: Editora Nova Fronteira, 9 edição, 1975.
Ostrower, Fayga. Criatividade e Processos de Criação. Rio de Janeiro: Vozes 1987-13 edição. Robert Moore, Douglas Gillete. Rei, Guerreiro, Mago, Amante. Ed. Campus, R.Janeiro 1993.
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