J’aimerais aujourd’hui partager quelques-unes des réflexions sur comment les six conditions de Carl Rogers pourraient être en lien avec la Biodanza. Ces réflexions ont surgi de mon besoin de chercher une correspondance possible entre les idées de Rogers et celles de Rolando après avoir été invitée à présenter la Biodanza à la communauté des thérapeutes centrés sur le client à la conférence ADPCAUK à Leeds, organisée par l’association pour le développement de l’approche centrée sur la personne du Royaume-Uni. Avec cette proposition, je suis allée voir quelques-uns des écrits originaux de Toro et de Rogers et j’ai découvert des passages qui transmettent des messages similaires. Mon objectif était d’introduire la Biodanza aux thérapeutes centrés sur le client d’une façon qui ait du sens pour eux.
Ce texte peut être intéressant pour :
- Des thérapeutes centrés sur la personne qui ont de la curiosité pour la Biodanza
- Des facilitateurs de Biodanza qui ont de la curiosité pour l’approche centrée sur la personne
Si vous êtes déjà familiarisés avec les travaux de Carl Rogers et de Rolando Toro, vous pouvez sauter l’introduction.
Carl Rogers et la psychothérapie centrée sur le client
La psychothérapie centrée sur le client a commencé vers 1940 avec le psychologue américain Carl Rogers qui désirait établir avec ses clients une relation qu’ils pouvaient utiliser pour leur propre croissance personnelle.
Rogers, en maître doué, désirait créer un environnement qui encouragerait l’apprentissage auto-initié et autodirigé.
Confiant que tous les êtres humains ont la capacité d’atteindre leur plein potentiel, Rogers a développé une forme non directive d’empathie de l’être pour se relier et travailler.
Son approche a été adoptée par différentes disciplines et est actuellement utilisée dans différents domaines. Pour les éducateurs, il s’agit d’un apprentissage centré sur l’élève. Pour les organisations, c’est une façon de créer un changement positif. Pour les professionnels de santé et les soins communautaires, ce sont des principes clés pour une thérapie personnalisée ou pour un soutien qui permettra aux personnes de vivre une vie pleine.
Rolando Toro et son système de danse centré sur la vie
De la même manière que Rogers qui a basé sa théorie sur la « force de la vie », le psychologue chilien Rolando Toro croyait aussi que nos potentiels humains etaient toujours présents et qu’on ne pouvait les détruire sans détruire l’organisme.
Toro a développé la Biodanza dans les années 1960 comme un système de développement humain orienté vers le renforcement de l’expression des potentiels humains par la musique, des exercices de communication groupale et des expériences intégrantes.
En 1965, il a commencé ces premiers essais de danse sur des patients avec des problèmes mentaux à l’hôpital psychiatrique de Santiago.
A cette époque, Toro enseignait dans le centre d’étude d’anthropologie médicale à la faculté de médecine de l’université du Chili. L’objectif ici était de tester différentes techniques afin d’humaniser la médecine, comme les thérapies groupales qui suivaient l’approche de Rogers, l’art-thérapie, le psychodrame, etc.
Tant Rogers que Toro étaient en recherche pour aider obtenir une meilleure intégration, convaincus que le changement constructif a besoin de temps. C’est pour cela que la Biodanza fut conçue comme un processus. Un processus fluide pour des êtres en changement constant avec un ensemble de potentiels qui changent continuellement.
Les six conditions pour la croissance de Rogers dans la Biodanza
1. Les relations et la rencontre humaine
Rogers croyait qu’un changement positif significatif ne pouvait arriver dans une relation que lorsque les personnes étaient en contact avec d’autres et affectaient ainsi l’expérience des autres.
De la même manière, Toro était sûr que le contact était la clé. Quand il y a rencontre authentique entre deux êtres, disait-il, une modification réelle de son identité commence à avoir lieu. C’est une des raisons pour lesquelles la Biodanza favorise le contact interpersonnel et met l’accent sur la qualité créative de la rencontre humaine.
2. L’état du client et la dissociation comme incohérence implicite
Rogers disait que le client se trouvait dans un état incongru quand il y avait un désajustement entre l’être perçu et son expérience réelle.
De manière similaire, la proposition de Toro est de transformer la personne dissociée en une personne complète.
Toro s’est rendu compte que beaucoup de personnes ne sentaient pas des parties de leur corps et il leur était difficile de se connecter à ce qu’ils expérimentaient ou sentaient. Ainsi, il a créé une méthodologie basée sur des exercices d’intégration comme, par exemple des exercices d’intégration motrice, avec pour objectif de les aider à réaligner leurs pensées, leurs sentiments et leurs actions, et à récupérer leur cohérence existentielle.
3. L’authenticité dans la relation : être qui nous sommes
Pour Toro, « l’unique relation saine entre les personnes est la relation affective par laquelle les individus ont l’occasion, non seulement de se connaître eux-mêmes, mais surtout d’être eux-mêmes ».
Ainsi, il a encouragé les facilitateurs de Biodanza à révéler leurs qualités humaines naturelles comme une façon de stimuler les participants de leurs groupes à être spontanés dans leur expression et leur connexion. Il voyait chacun d’eux comme participants actifs, non seulement de leur propre guérison, mais aussi de la guérison des autres, chacun devenant thérapeute ou agent de santé.
Parallèlement, Rogers encourageait les thérapeutes à être eux-mêmes, même dans des façons considérées non idéales pour la psychothérapie. Pour lui, être vrai, l’authenticité et la congruence étaient essentiels pour qu’une relation devienne un espace de croissance véritable.
4. La considération positive inconditionnelle et l’Eros indifférencié
Rogers a également identifié la considération positive inconditionnelle, qui se réfère à une qualité d’acceptation sans préjugés de l’expérience et de l’expression émotionnelle des personnes, comme une autre exigence cruciale pour une relation qui permette la croissance.
De manière similaire, Toro a parlé de l’Eros indifférencié comme l’acceptation inconditionnelle de contact avec tous les êtres humains sans discrimination d’aucune sorte.
Pendant les exercices de Biodanza, disait-il, la personne est plus que jamais elle-même : respectée, valorisée, aimée et acceptée.
5. L’empathie et l’empathie corporelle
Selon Rogers, « le troisième aspect qui facilite la relation thérapeutique est la compréhension empathique. Cela veut dire que le thérapeute perçoit avec précision les sentiments et les significations personnelles que le client expérimente et il communique cette compréhension au client ».
Par la connexion dans la danse, les personnes peuvent arriver à sentir le monde intérieur de l’autre comme si c’était le leur.
Elles peuvent aussi apprendre à communiquer leur compréhension empathique d’une manière non verbale, en laissant leurs corps parler par des gestes silencieux mais puissants en même temps ; en partageant le même rythme aussi.
Il en résulte qu’une simple danse à deux, où on invite les personnes à synchroniser leurs mouvements en suivant le rythme musical, a des implications psychologiques. Toro était bien conscient de cela.
« La personne a besoin d’écouter le corps de l’autre et d’être réceptif à l’information qui provient du mouvement de l’autre. Partager le même rythme signifie atteindre un niveau d’empathie corporel. »
Toro, qui s’est inspiré du concept d’empathie de Theodor Lipps, l’a décrit comme une identification profonde et une compréhension totale de l’essence de l’autre, accompagnées de sentiments de qualité et un esprit de fraternité.
6. Le thérapeute perçu par le client : recevoir de l’empathie ou CPI (Considération positive inconditionnelle)
Rogers a souligné que le processus de guérison et de croissance des personnes ne commencera pas, sauf si elles sentent l’acceptation et l’empathie que les autres ont pour elles et si on les leur communique.
Pour aider les personnes à apprendre à communiquer leurs expériences et émotions personnelles, Toro a inclu différents exercices de communication expressive dans le système de la Biodanza.
De cette façon, les personnes apprennent à communiquer et à reconnaître des signes d’acceptation et de compréhension qui proviennent des autres membres du groupe et du facilitateur.
Le pouvoir de la présence
Bien que la présence ne soit pas une des six conditions, Rogers (Baldwin, 1987) a dit que, quand il était intensément focalisé sur un client, sa seule présence semblait être guérisseuse.
Toro écrivit aussi sur l’impact de la présence et de son absence. La citation suivante peut se trouver dans les fascicules de formation de Biodanza.
« Nous avons une façon d’être absents avec toute notre présence. En ne regardant pas, en n’écoutant pas, en ne touchant pas l’autre personne, nous la dépouillons subtilement de son identité. Nous ne reconnaissons pas la personne en elle mais nous l’ignorons ».
Pour Toro, la tendresse est la qualité qui donne de la présence.
Ce que les personnes ont besoin, disait-il, c’est un sentiment d’intimité, de transcendance, de connexion joyeux et de bonheur revigorant. Il a ainsi créé des exercices de mouvements de danse pour que les personnes puissent satisfaire leurs besoins naturels. Beaucoup de ces exercices célèbrent la présence de l’autre dans la joie de la rencontre humaine que Toro nous incitait à savourer, célébrer et déguster.
Conclusion
Cette recherche initiale m’amène à conclure que les six conditions de Carl Rogers sont présentes dans le système de la Biodanza, même de manière implicite, et colleraient avec la catégorie des écofacteurs positifs dans le modèle théorique de la Biodanza.
Références
Rogers, Carl R.:The Necessary and Sufficient Conditions of Therapeutic Personality Change
Théorie de la Biodanza. Collections de Textes - Tomes I et II - ALAB 1991
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