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Le mécanicisme et ses conséquences sur le mouvement humain par Myrthes Gonzalez

La base conceptuelle de la Biodanza provient d’une méditation sur la vie,

du désir de renaître de nos gestes dépecés. » Rolando Toro


L’histoire du mouvement humain est aussi l’histoire de l’humanité. Toutes les périodes historiques ont eu des conséquences sur la corporéité. Dans ce texte, je cherche à réfléchir plus spécialement sur la période historique qui se caractérise par le mécanicisme et comment celui-ci va atteindre la corporéité et donc déterminer la façon dont les êtres humains ont bougé ces derniers siècles.


Les réflexions du philosophe René Descartes furent déterminantes pour la vision du monde à l’âge moderne. Descartes propose une suprématie de la raison au détriment de la corporéité. Le corps est, pour lui, une machine créée pour servir les objectifs de la raison.


Le dualisme corps – esprit n’est pas une invention cartésienne mais nous pouvons dire que Descartes a accentué cette dissociation.


La vision rationnelle de Descartes est contemporaine aux avancées technologiques au cours du temps. Au Moyen-Âge, étant donné la forte discipline dans les monastères catholiques, il y avait besoin d’un mesurage de temps permettant d’imposer une division des tâches pendant la journée à partir de cette mesure. C’est de cette époque qu’ont surgi les rudiments de la mesure mécanique du temps. A partir du 14ème siècle, devant le besoin d’instruments adéquats pour les grandes navigations utilisant des horloges mécaniques - celles-ci étant initialement énormes et se trouvant dans les clochers des églises - celles-ci diminuèrent de taille devenant peu à peu habituelle dans les lieux de travail et à la maison.


Nous pouvons percevoir que, dès le début, la mesure mécanique du temps a influencé la corporéité, ayant comme objectif d’organiser et de créer une méthode dans la routine humaine, en standardisant les mouvements et les pratiques.


La mécanisation de la mesure du temps cependant arrive à une époque de grandes avancées technologiques qui vont s’établir peu à peu à la place de la production artisanale par la mécanisation de la production à grande échelle par des machines qui remplacent le travail humain.


Pour avoir une notion de la dimension corporelle de ce changement, il faut penser au style de vie de l’artisan. La production artisanale, dans les centres urbains du 16ème et 17ème siècle se faisait en petits groupes ou même un seul artisan faisait tout le processus. En général, il n’y avait pas de division rigide des tâches ni un contrôle rigide du temps ou de la production. Cela ne veut pas dire qu’il y avait des conditions idéales de travail, car les citadins en général n’avaient pas d’installations sanitaires et les bourgeois étaient plus organisés en stratégies de défense que tournés vers le bien-être de ceux qui vivaient là. Nous pouvons cependant dire que, d’une certaine façon, la production n’avait pas un impact décisif sur l’organisation du mouvement. Le travail manuel non répétitif, où le travailleur avait conscience de tout le processus de production, permet en général une connexion avec la danse – mouvement plein de sens.


Le phénomène appelé révolution industrielle commence au 18ème siècle, en Angleterre. A ce moment, de grandes machines, initialement à vapeur, remplacent une partie du travail fait auparavant par les artisans. Il existe donc une modification très radicale de la structure sociale. Le propriétaire de la machine ne s’implique pas directement dans le processus de production, mais emploient un grand nombre de personnes qui vont faire partie de ce processus en agissant près des machines.


Ceci a créé une nouvelle catégorie professionnelle de personnes qui vendaient leur force de travail en échange d’une petite partie de la valeur générée par la production (valeur ajoutée). Ce type de relation, qui aujourd’hui encore détermine la production dans notre société, a commencé de façon brutale. Les employés allaient des enfants aux vieillards, des femmes et des hommes avec des journées de travail allant jusqu’à plus de 16 heures. Une situation qui a seulement changé avec l’organisation des travailleurs en syndicats.


Les modifications dans le mouvement humain découlant de cette période historique sont très importantes. Nous pouvons souligner deux points :

1. L’élément central de la production devient la machine, beaucoup plus efficace en termes de productivité. L’être humain fait partie de la production comme une espèce de « co-adjuvent » de la machine. D’une certaine façon, il fait partie de ses engrenages. Il est comme un engrenage, une pièce sans signification spéciale qui peut être échangé par un autre en cas de défaillance.

2. Le travailleur n’a plus conscience de la totalité du processus de production. Il est en général utilisé à seulement un point du processus avec des mouvements répétitifs et sans signification. Son mouvement n’a plus de sens, il est vide de toute créativité et de toute identité. L’homme est une pièce de la machine. Pendant les mouvements répétitifs, il existe un processus brutal de dissociation corps – esprit. L’esprit navigue dans d’autres sphères hors du temps présent et de l’espace de l’usine.


Au début du 20ème siècle, les usines comptent des lignes de production de plus en plus sophistiquées. Taylor a étudié l’organisation des environnements et des machinistes de façon à établir une économie des gestes. Selon lui, une partie de l’énergie qui pourrait être destinée à la production était gaspillée par des mouvements non dirigés vers elle. Taylor a influencé toute l’organisation des environnements contemporains dans la recherche d’une objectivité absolue et non gaspillée dans la production des biens de consommation. Le travailleur de la ligne de production commence à avoir des gestes mesurés et contrôlés de façon à canaliser toute son énergie motrice vers la tâche qui lui est désignée.


C’est seulement à la fin du 20ème siècle qu’on constate que ces gestes répétitifs et privés de sens génèrent une distance chronique de l’ici et maintenant, un état de transe désintégrant où la personne s’absente d’elle-même jour après jour, pendant de nombreuses heures par jour. Nous avons par conséquent une série de dégâts sanitaires, tant au niveau de la corporéité que de la spiritualité.


Dans les années 80 déjà, on sait qu’il est important que le travailleur soit impliqué dans toutes les parties du processus de production et qu’il donne une signification à ce qu’il produit. Dans le cas contraire, il tombe malade, soit de maladies psychosomatiques, psychiatriques ou d’accidents du travail.


Cette constatation nous amène directement à la perception que les mouvements dits corporels sont directement associés à la santé et que la qualité de ces mouvements détermine la qualité de vie et la façon de percevoir et de se relier avec le monde.


Nous arrivons finalement au début du 21ème siècle dans une société hyper technologique où les processus de la ligne de production sont presque déjà quasi automatisés et le travail manuel est substitué, à large échelle, par des équipements de haute technologie. Quelles en sont les conséquences inévitables sur la corporéité ? Quel type de mouvement cette société propose ? Est-ce que nous dépassons le mécanicisme ou est-ce que nous entrons dans une version plus sophistiquée de celui-ci ?


Nous vivons actuellement dans un monde inséparable de la mécanisation, ce processus historique a changé drastiquement la nature et aussi la relation de l’humain avec lui-même.

Comment vivre aujourd’hui sans lumière, sans eau courante, sans internet, sans téléphone, sans voiture, sans train, sans avion et tous les autres équipements technologiques ? Nous serions complètement inadaptés si nous retournions à vivre comme il y a 50 ans.


Nous nous éloignons peu à peu du besoin de nous impliquer directement avec des travaux répétitifs et peu créatifs et nous pouvons penser que ceci est un fait extrêmement libérateur. Nous ne pouvons cependant pas oublier que ce qui met en mouvement notre structure économique aujourd’hui est la consommation.


La création d’un monde virtuelle chaque fois plus indispensable et absorbant a amené à une « pacification » des mouvements. La motricité fine, les gestes des doigts et le regard tourné des heures vers un écran ont créé une difficulté d’interaction avec le monde non virtuel. La non virtualité demande de la sueur, des muscles et une attention multidirectionnelle. Les maladies liées à des mouvements répétitifs des mains prolifèrent, ainsi qu’une obésité quasi épidémique.

La virtualité, la globalisation et la consommation créent un être humain passif d’un côté et irrité de l’autre, car il est habitué aux résultats immédiats de l’ordinateur. On perd radicalement les détails subtils de l’interaction humaine qui est faite de façon plus désinvolte dans le virtuel que dans l’interaction directe. Des phénomènes de résonance qui sont basés sur cette interaction directe se perdent en provoquant des difficultés dans les relations humaines, une absence d’empathie et un mal-être émotionnel.


La médecine attire l’attention sur les maladies provenant du sédentarisme et il se crée aujourd’hui un nouveau type de pratique, chaque fois plus diffusé, où l’exercice physique est vu comme un besoin pour la santé. Il est de fait nécessaire pour compenser notre style de vie inerte. Il est cependant important de réfléchir sur la façon dont il est fait et sur les motivations. Il reflète et renforce souvent une profonde dissociation corps – esprit. Le manque de perception des sensations corporelles est la cause et la conséquence d’un style de vie tourné vers la consommation. L’exercice est pratiqué comme une obligation et comme si le corps était un animal enfermé toute la journée dans une geôle. Il serait donc important, de temps en temps, de le laisser sortir, de préférence sous contrôle, sous forme de colère.


Celui qui pratique des exercices physiques a souvent une motivation de maintien de sa santé physique et de sa beauté esthétique. Le corps est ici un objectif qui doit être bien soigné et bien préservé.


Heureusement, cependant, la naissance du nouveau millénaire apporte avec elle un besoin pressant de changement. Encore impactés et d’une certaine façon crédules quant aux possibilités générées par l’avancée technologique, beaucoup de personnes arrivent à repenser leur relation avec la consommation et génèrent ainsi un processus d’intégration où la corporéité et les spiritualités tendent à se fondre dans la recherche d’un être intégral.

L’humanité arrive à une dissociation extrême mais, comme dans tout sommet, il existe un déclin, dans ce cas, une chance de changement.


Rolando Toro, créateur de la Biodanza, propose que nous renaissions de nos gestes dépecés.

La réflexion qu’il fait est que nous sommes nos gestes. Il ne sert à rien d’acquérir des objets et de nous proposer des pratiques diverses, si nous ne sommes pas intensément engagés avec ce que nous faisons. Cet engagement est une récupération de la corporéité. Tout ce que nous faisons dans notre quotidien a un sens et peut englober tout notre être. Si nous reconnaissons l’importance de chacun de nos gestes et que nous les transformons en danse de notre existence, nous aurons besoin de choses très simples pour vivre. Le bonheur et la réalisation sont loin de l’acquisition des choses. La joie de vivre et le bien-être sont liés à la qualité du geste et du mouvement de chaque acte de mon existence. La santé intégrale est indissociable du fait de danser sa vie.

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