« En vérité, seule une superstition triste et sombre peut empêcher que nous nous réjouissions.
Quelle raison y a-t-il à ce que cela ne soit pas aussi souhaitable de se débarrasser de la mélancolie que d’assouvir la faim et la soif ? Telle est ma règle et mon âme est ainsi disposé : aucune divinité, seulement un envieux peux se réjouir de notre impuissance et de notre infortune, et considérer comme vertueux nos larmes, nos sanglots, la peur et d’autres signes semblables de l’âme impuissante. Au contraire, plus grande est la joie qui nous remplit, plus grande est la perfection que nous atteignons et plus nous participons nécessairement de la nature divine. Ainsi, se servir des choses et profiter d’elles quand c’est possible est le propre de l’homme sage. » Baruch Spinoza
Dès le moment où nous naissons, nous êtres humains sommes tributaires des rencontres. Ceci se passe quand nous ne savons pas clairement quelles rencontres augmentent notre puissance et lesquelles la diminuent. Nous ignorons aussi ce qui nous compose, les relations internes qui nous caractérisent. Nous ne pouvons toutefois pas, à cause de cela, définir notre existence comme étant irrationnelle. Nous avons au moins une rationalité limitée.
Ainsi, nous les humains, dans la discordance des rencontres passionnelles et les résolutions imaginaires, nous sommes tous différents entre nous. Spinoza le disait déjà au 17ème siècle : la concordance entre les personnes est rare…
Si nous voulons que, dans notre vie, il y ait concordance avec les autres êtres, il faut gérer aux passions tristes, celles stimulées par les apologistes du calvaire terrestre, les terroristes de l’âme et les statisticiens de l’inégalité sociale.
Affirmer notre identité, augmenter notre puissance d’œuvrer pour et par la relation avec les autres semble être le chemin… et c’est la proposition de la Biodanza.
C’est le désir de persévérer dans l’existence que proclamait le sage hollandais, c’est le principe biocentrique dont Rolando a eu l’intuition… là ne peuvent se créer des conflits ou des contradictions externes, ce qu’il y a là est vie pure.
Seule une superstition sinistre peut condamner le plaisir de vivre, ce plaisir est une possession sereine de soi-même de la part du mental et du corps qui ne se laisse pas déprimer par les difficultés de l’existence.
Par la danse de la vie, nous pouvons étendre les limites du pouvoir d’exister qui sont propres à notre nature. La vertu dans la vie est la vie elle-même.
Spinoza nous invite à sortir de la servitude qui se produit quand nous nous abandonnons aux plaisirs occasionnels qui, en tant que tels, ne peuvent nous donner une satisfaction permanente ou aux passions plus ou moins durables et terminer ainsi en craignant la mort ou en méditant de façon obsessionnelle sur elle.
La servitude, c’est quand on n’est pas maître de soi mais au service de la chance, à laquelle nous sommes tellement soumis que nous nous sentons parfois obligé de faire le pire, bien que nous voyons le meilleur. Nous serions alors condamné à vivre en marge de la connaissance active et vivifiante de l’éternité et de la vérité, à rester enlisé dans la passivité et dans la relative débilité des passions et de l’imagination.
L’obstacle le plus difficilement surmontable, celui qui empêche la réalisation de l’utile et du bonheur, est représenté par Spinoza et par le penseur biocentrique par le comportement des êtres humains. C’est pour cela que parfois Rolando disait que la question de la philosophie devrait être : Qu’est-ce qu’être humain ? Les consignes et propositions vivencielles de la Biodanza semblent inspirées par les visions de ce que Spinoza considérait comme des obstacles à la rencontre de notre propre puissance-nature.
En effet, comme nous avons quelque fois entendu dans une consigne de Biodanza, nous les hommes sommes les pires ennemis de nous-mêmes : nous annihilons la vie mais – comme Ignace de Loyola ou les mélancoliques – nous sommes attirés par l’amor mortis par le plaisir pervers de la tristesse ou du désespoir pour sa propre chance future dans ce monde ou dans l’autre ; nous désirons tous, en paroles, la liberté, nous semblons enclins à suivre son utilitas, mais nous nous voyons généralement résignés à vivre dans la terreur du Léviathan et de l’enfer ou à mourir pour la gloire d’un seul ou pour celle d’un Dieu garant de notre passivité et nullité ; nous nous lamentons continuellement de la caducité de notre propre existence mais nous savons aussi en faire bon usage et nous cherchons une compensation à sa brièveté dans l’espoir d’une vie éternelle.
Alors que nous agissons ainsi, nous sommes cependant encore des serfs. En effet, comme nous savons « l’homme libre en rien pense moins que dans la mort ».
Pour pouvoir se libérer de la passivité absolue face aux passions, il serait peut-être nécessaire d’admettre d’abord leur suprématie : en diminuant nos prétentions exorbitantes de contrôle et d’autocontrôle sur elles, les chances de succès à les affronter se multiplient paradoxalement et on découvre la puissance de l’imagination, la capacité d’évoquer les choses absentes. Il ne servira non plus à rien d’essayer d’étouffer les passions par l’intervention énergique de la volonté ou de la raison.
La proposition de la Biodanza coïncide avec le déploiement d’une raison passionnée qui nous permet de développer le courage et la fermeté de l’âme devant les caprices de la chance. La générosité avec les autres hommes agit à partir du plaisir partagé et réciproque et les actes compatissants du cœur.
La Biodanza propose une méditation dansée qui a un effet sur la passion pour développer la vie, la séparant de la passivité venant de l’imagination, grâce à un voyage dans les ressources universelles comme le rythme et l’harmonie musicale, le mouvement organique, la rencontre amoureuse. Une vivencia épistémique qui permet d’atteindre la joie la plus haute, la béatitude, là où toutes choses s’éclairent de sens.
Avoir un corps apte pour beaucoup de choses par des vivencias intégrantes, nous permet de déployer une raison passionnée, une raison poétique dans le style de Maria Zumbrano, une mystique biocentrique (Raul Terrén), un abandon d’amour mystique et d’accéder finalement à l’éveil de la grandeur humaine par l’inconscient numineux, l’ultime grand héritage de Rolando Toro.
En dépit du fait que Spinoza considère que tous les êtres humains naissent ignorants des causes des choses, qu’ils ont un désir conscient de chercher ce qui leur est utile et qu’ils considèrent toutes les choses de la Nature comme des moyens pour obtenir ce qui leur est utile, il est intéressant de souligner que le philosophe hollandais n’est pas simplement un réaliste de la condition humaine... sa proposition est que, étant donné qu’il n’y a pas de possibilité de connaissance des données externes, nous ne disposons que de vivencias fragmentaires de composition et décomposition de notre individualité. Et cela se passe par les rencontres, l’unique façon que j’ai de savoir ce que mon corps peut, c’est à partir des rencontres avec les autres et d’utiliser la raison pour établir des notions communes, ce que j’ai en commun avec les autres et qui parlent en réalité de moi, de mes relations internes qui me caractérisent ; je me connais à partir de mes possibilités de composer avec les autres. Laissons de côté les propositions New Age de connaissance de soi, - je ne me connais pas parce que je suis un mystère infini – proclamait Rolando, - mais quand je suis avec toi, j’ai des notions de moi -.
Comme le dit Denise : - Devant l’avancée des passions tristes, nous pouvons concevoir d’autres mondes si nous habitons notre puissance et si nous promouvons activement la joie et la rencontre -.
Le processus de développement par la Biodanza m’a permis de comprendre que la valeur des choses dépend de l’union que chacune d’elles a avec moi ainsi, plus que tout, nous devrions aimer les autres personnes, comme nous l’enseignent les vertus de l’honnêteté et, plus concrètement, de la générosité et de l’affectivité (ligne de vivencia du système Biodanza).
Selon Spinoza, la liberté et le bonheur retirent toutes leurs forces de l’amour pour Dieu/nature comme étant éternel.
Du point de vue de la Biodanza, nous pouvons dire que cet amour constant et éternel pour Dieu coïncide avec un développement de l’empathie, de l’affectivité, de l’amour qui nous donne la base pour que se fasse ce passage progressif à un état d’abandon, régressif, altérant et amplifiant notre conscience et, dans cet état, nous expérimentons la révélation d’un ordre fondamental de l’univers dont l’acceptation nous intègre et nous unit à la totalité.
Nous pourrions même nous aventurer à dire que ce qui se passe dans une session est la vivencia d’états amoureux toujours plus intenses, qui culminent ou débouchent tout à coup sur un état d’amour universel, mythique, mystique ; que tous les états amoureux par lesquels nous allons transiter sont également différents états de conscience amplifiée et d’intégration.
La vivencia en Biodanza est un épiphénomène qui nous permet d’atteindre le degré maximum de réalisation quand nous atteignons notre propre essence ; nous développons un tel degré d’intuition qui nous permet d’accéder directement à l’essence des autres et au moyen de l’amour-action à transformer les mauvaises rencontres en bonnes rencontres.
Arrivé à ce point, nous pouvons conclure que la pensée biocentrique et l’éthique spinozienne sont des intuitions qui se croisent dans l’hologramme doré immanent.
Références
Spinoza, Baruch – Traité de la réforme de l’entendement
Spinoza, Baruch – Etique démontrée suivant l’ordre géométrique en 5 parties
Kaminsky, Gregorio – Spinoza, la politica de las pasiones
Najmanovich, Denis – Séminaires
Scalise, Adrian – Biodanza y Ritual Mitico
Bodei, Remo – Géométrie des passions
Terrén, Raul - Symposium
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